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12 juin 2012 2 12 /06 /juin /2012 12:30

Plus de trente  ans après sa fondation, en tant qu'institution régionale qui le distingue de son environnement arabe, le Conseil de Coopération des pays du Golfe subit les maladies de la vieillesse prématurée et ce qui s'en suit d'épuisement et de faiblesse. Certaines de ses dérives collatérales sont manifestement graves, menacent sa cohésion et peut être accélèrent son implosion, à l'instar d'autres institutions arabes régionales similaires (Abdelati Atwane, al-Quds al-Arabi, 18 mai 2012, traduction personnelle).

 

Diagnostic sévère, l'éditorial du Directeur du quotidien londonien, Abdelati Atwane fait valoir l'usure par le temps du  Conseil de Coopération des pays du Golfe  (CCR). L'analyse de cette mise à l'épreuve, en relation avec l'évolution de  la nouvelle conjoncture arabe, devrait cependant être relativisée et ramenée à ses justes proportions. Le CCR, à l'écoute du printemps arabe et subissant indirectement ses effets, est mis en demeure de s'adapter au nouveau contexte, de réviser sa stratégie et de réactualiser ses objectifs. La mise à l'ordre du jour d'un passage de la coopération à l'union, s'inscrit dans cette nouvelle donne géostratégique.

Lors du sommet de Ryad, le 14 mai 2012, les dirigeants des six monarchies du Golfe ont examiné l'idée  d'une union du CCG, lancée en décembre par le roi Abdallah d'Arabie saoudite et soutenue par Bahreïn. Vu l'importance des enjeux, le sommet consultatif s'est  tenu à huis clos et a débattu cette proposition, dans le cadre de la conjoncture régionale et  notamment de la crise syrienne et le jeu politique iranien, sur la scène moyen-orientale. Tout en soutenant le printemps arabe au Maghreb et au Moyen-Orient, les pays du Golfe craignaient ses effets, dans leur voisinage immédiat. La solution qu'ils ont préconisée et mise en œuvre au Yémen, leur a permis de "récupérer", avec plus ou moins de réussite, l'insurrection populaire. Mais la révolution au Bahreïn risquait de remettre en cause la carte géopolitique du Golfe, par une possible promotion de la majorité chiite, favorable à une alliance avec l'Iran. L'importation libanaise de la crise syrienne, illustrée par les affrontements de Tripoli et ses débordements à Beyrouth, suite à  la mort, le 20 mai,  de deux membres d'un parti hostile au président syrien Bachar al Assad, tués par des militaires dans le nord du Liban  atteste l'aggravation et la complexité des enjeux.

Les dirigeants des pays du Golfe ont décidé de poursuivre l'étude d'un projet d'union, pressenti pour regrouper dans un premier temps l'Arabie saoudite et Bahreïn (Charq al-awsat 15 mai 2012). Ce qui signifie, par le décryptage du discours diplomatique que la proposition saoudienne n'a pas été, acceptée, du moins pour le moment, Est-ce à dire que le parrainage du Conseil du Golfe par l'Arabie saoudite est dépassé. Trois initiatives saoudiennes ont été, en effet, rejetées : l'adoption d'une union monétaire a été refusée par Oman et suscité le retrait des Emirats, hostiles au choix de Ryad comme siège de la banque centrale. D'autre part, le projet saoudien d'intégrer, dans le Conseil du Golfe, de la Jordanie et du Maroc a été mis en échec. La dernière initiative relative au passage à la phase de l'union a cependant reçu l'accord du Bahreïn, qui ferait partie du noyau de formation d'une confédération avec Ryadh. Appelés à rejoindre la nouvelle institution, les Emirats ont donné leur accord de principe, Qatar  a atténué son enthousiasme alors que et le Koweït hésite (Jamil Adh-Dhiabi, al-Hayat, 14 mai, 2012).

Est-ce que l'initiative saoudienne est une réponse au jeu politique de l'Iran, dans la région et surtout son soutien au régime syrien et ses sympathies pour la résistance bahreïnie ? Signalons, d'autre part, que le vice-ministre iranien Ridha Rehimi avait évoqué, lors d'un entretien avec le premier ministre irakien Nouri El-Malki, quelques jours auparavant, "l'actuelle nécessité d'une union totale entre l'Iran et l'Irak" (Mouchari adh-Dhaidi, ach-Chark al-Awsat, 15 mai 2012). L'examen de la question de l'Union des pays du Golfe, apparait comme une réponse à l'initiative  iranienne. Elle précipite l'examen de la proposition saoudienne, exposée, en décembre 2011. En tout cas, elle s'inscrit dans les rééquilibrages géopolitiques induits par la conjoncture de la rivalité entre les mouvances chiites et sunnites.

L'argumentation saoudienne, se réfère évidemment à "la menace" iranienne. La réaction iranienne, qui estime que la réalisation de l'unité entre l'Arabie saoudite et Bahreïn, est "une déclaration de guerre", explique le non-dit (Charq al-awsat 15 mai 2012). Précipitation des événements,  le pouvoir iranien dénonça le projet d'union khalijien. Certains de ses députés réclament même l'intégration du Bahreïn à l'Iran (Ibid.). Il appela à des manifestations populaires, le 18 mai, pour dénoncer "le plan américain d'annexion de Bahreïn par l'Arabie saoudite". D'autre part, l'opposition bahreïnie organisa, le même jour, des manifestations contre le projet d'union avec l'Arabie saoudite, se démarquant ainsi de la stratégie gouvernementale.

Fait important, le passage des pays du Golfe de la phase de la coopération à la phase de l'union est désormais l'objet d'un large débat entre les acteurs et les analystes. Ils font valoir évidemment les facteurs favorables à l'union (économie de rente pétrolière, mêmes alliances géopolitiques prédominantes) confortés par une prise en compte de la question sécuritaire dans leur environnement (al-Hayat, 20 mai 2012). Mais ils reconnaissent les spécificités géographiques et les différences de régimes (analyse de Mouchari adh-Dhaidi, ach-Chark al-Awsat , 15 mai 2012). Ce qui explique, en dépit de leur auto-perception comme "pays mirages" suscitant des convoitises, leurs jeux de rôles différentiels dans l'aire arabe. L'initiative unitaire, qu'on ne peut considérer comme simple manœuvre diplomatique, attesterait une volonté d'indépendance. Face aux nouveaux enjeux dans la région, où une guerre d’envergure internationale pourrait exploser à tout moment, le projet unitaire fait valoir des priorités sécuritaires et une mobilisation pour acquérir une capacité d’autodéfense réelle. 

 

Pr. Khalifa Chater

(L'Economiste maghrébin, n° 578, 30 mai – 5 juin 2012)

 

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