Les Palestiniens et tous
les partisans la paix, attendaient le voyage d'Obama, au Moyen-Orient, après sa deuxième investiture. Désormais libéré de la pesanteur électorale et du
jeu des lobbies, il était plus en mesure de faire valoir sa vision et de prendre des initiatives courageuses pour la mettre en application. Le
Moyen-Orient est le grand défi d'Obama et de la classe politique américaine, puisqu'il met à l'épreuve leur discours fondateur des Droits de l'homme et
la gestion "neutre" des relations internationales qu'il impliquait. Pouvaient-ils ignorer longtemps les attentes de leurs partenaires arabes, qui ne pouvaient s'accommoder de cette paralysie totale
du processus de paix. Le nouveau contexte du "printemps arabe" a mis à l'ordre du jour la démocratisation et habilité l'opinion publique, comme acteur de plein droit. Mesure de
realpolitik, le "compromis" entre l'Establishment américain et les nouveaux acteurs du Moyen-Orient, a redéfini les relations entre les partenaires et mis en œuvre un programme de concessions
réciproques. En ce qui concerne l'Egypte, par exemple, Al-Aram hebdo affirme que "les Frères musulmans ont réconforté les Américains en ce qui concerne la
politique étrangère et la sécurité nationale, mais aussi en ce qui concerne le respect du système économique capitaliste"
(.Mohamed Al-Saïd Idriss, " La tutelle américaine sur
l'Egypte", 20 mars 2013). Cependant, l'idéaltype de la scène arabe ne peut occulter la question palestinienne. Prenons aussi la juste mesure des surenchères des groupes
radicaux, qui transgressent les alliances et adoptent des actes de dérive. Fait d'évidence, l'actualité arabe et l'échafaudage de nouveaux réseaux
d'alliance - fussent-ils non formels et non revendiqués ! -se distinguent désormais par le manque de repères.
Obama aurait effectué son périple au Moyen-Orient pour «écouter» les
dirigeants israéliens et palestiniens. Or, étant donné que le terrain est désormais balisé, les acteurs internationaux ont identifié le diagnostic, défini les moyens de sortie de crise, par la
réalisation du processus de paix et sont en connaissance des positions des protagonistes. Appréhendant une question de décolonisation, ils savent que le partenaire qui ne reconnait pas le droit à
l'autodétermination et qui poursuit l'expansion coloniale, refuse l'application de la solution des deux Etats et assume seule la responsabilité de la politique d'apartheid. De ce point de vue, le
voyage du Président Obama au Moyen-Orient est un "non-événement". Pis encore, Obama aurait pour objectif de "dissiper les malentendus avec
le pouvoir israélien qui ont marqué son premier mandat, sur fond de paralysie totale du processus de paix" (Nicolas
Falez, RFI, 20 mars 2013). Le programme officiel du
président américain qui comprend une visite au Musée d’Israël, des cérémonies de recueillement au Mémorial de la Shoah de Yad Vashem et sur la tombe du Premier ministre israélien assassiné Yitzhak
Rabin confirment l'unbreakable Alliance, «l'alliance indestructible» que les Israéliens ont donné à la visite officielle de Barack Obama. Et
pourtant, au-delà des symboles, la visite du Président Obama, les Américains et Israéliens doivent aborder les questions d'actualités, bien entendu le processus de paix. D'autre part, l'examen en commun de l'état de la carte géopolitique du Moyen-Orient implique l'étude de l'impact de l'émergence des nouveaux acteurs dans l'aire
arabe et les sujets brulants et en premier lieu, la question du nucléaire iranien.
A son arrivée en Israël, Obama a déclaré que cela n’était pas « un hasard» qu’Israël soit le premier pays qu’il visite lors de son premier voyage international, depuis sa réélection. «
Dans cette région, les vents du changement sont à la fois porteurs d’espoir et de danger. Pour moi, cette visite représente une occasion de réaffirmer les liens inaltérables qui existent entre
nos nations, de réaffirmer l’engagement indéfectible des États-Unis à la sécurité d’Israël, et de m’adresser directement au peuple israélien et à ses voisins » Il affirme la volonté américaine de
consolider l'état des rapports de forces dans la région : « Il s’agit là, dit-il, de façons supplémentaires de rappeler que nous aiderons à préserver l’avantage qualitatif du système militaire
israélien afin que le pays puisse se défendre lui-même contre n’importe quelle menace… «Israël est le pays le plus puissant de la région. Israël a le soutien du pays le plus puissant … C'est à
vous d'écrire le nouveau chapitre dans l'histoire de cette grande nation!». Est-ce à dire que
la prestation oratoire du Président Obama occulte le non-dit et n'explicite pas les positions différentielles du nouveau gouvernement israélien et de
l'Establishment américain ? «C'est à vous de décider», a
lancé, jeudi soir, le président américain à ses hôtes israéliens. Peut-on se hasarder à dire que le discours d'Obama de Jérusalemrevise le discours du Caire
(2009), au début de son premier mandat, affirmant une révision de la politique américaine ? Prenant acte de la pesanteur de la géopolitique,
Obama semble renoncer au rôle qu'il a tenté de jouer, lors de son premier mandat. Mais il rappela à plusieurs reprises son plaidoyer pour la paix, que le discours américain ne peut renier.
La question du nucléaire iranien semble la préoccupation majeure du
Président Obama et l'objet essentiel de la consultation. Elle fut l'objet du premier entretien avec Benjamin Netanyahu, le 20 mars. Le président a dit que les États-Unis et Israël étaient tous deux
d’avis qu’un pays comme l’Iran disposant d’une arme nucléaire serait « une menace pour la région, une menace pour le monde et une menace existentielle pour Israël » et confirmé que les États-Unis
s’étaient engagés à protéger Israël, ce qui, a-t-il dit, est « non-négociable » et «une obligation solennelle». Et pourtant, les deux Etats n'avaient pas le même point de vue. Israël prône une
attaque préventive contre les installations iraniennes alors que Washington mise sur le renforcement des sanctions économiques contre Téhéran pour l’amener à renoncer à son programme nucléaire.
Est-ce que le rapprochement des points de vue annonce une frappe contre l'Iran, par Israël, avec le feu vert américain ou par les deux états agissant
de concert? Abdelbari Atouane, rédacteur en chef du quotidien londonien et pro-palestinien Al-Quds al-Arabi estime que le Président Obama a "adressé un message de guerre à l'Iran"
(éditorial, 22 mars 2013). Il cite à l'appui de la rhétorique de guerre, faisant valoir l'inégal rapport des forces, la décision d'Israël, de présenter
des excuses à la Turquie, sur insistance américaine, dans le but de ménager cette puissance régionale, membre de l'Otan et concernée, bien entendu par des opérations militaires d'envergure, dans la
région. Conclusion de Abdelbari Atouane : " Serrez vos ceintures. Les prochains mois seront
difficiles. L'histoire entrera en 2013, l'année de résolution militaire au Moyen-Orient". Relation tragi-comique du journal pro-saoudien Ach-Charq al-Awsat, "on est, après
la visite d'Obama, en attente du retour de l’Imam attendu - l'Imam Mahdi, figure de
la rédemption dans l'eschatologie chiite. Par ce procédé
ironique, le rédacteur estime que l'acquisition de la bombe nucléaire conditionne ce retour, qui "hâterait l'apocalypse" (Ahmed Othman, in Charq awsat, 23 mars 2013). La
guerre contre l'Iran semble désormais à l'ordre du jour. Mais l'analyse géopolitique doit distinguer la graine de l'ivraie, le discours
guerrier et les attitudes diplomatiques, le bluff et l'acte réfléchi. Rappelons que le Président Obama a affirmé, dans une interview à la télévision israélienne diffusée le 14 mars, "conserver
toutes les options sur la table". Qui peut prendre le pari d'une guerre qui ébranlerait le Moyen-Orient, susciterait d'importantes turbulences dans les pays du Golfe, mettrait à rude épreuve les
équilibres fragiles dans la région ? Est-ce que le Président Obama, assumerait cette prise de risque, après avoir réalisé l'évacuation des troupes américaines d'Irak et envisagé la sortie
d'Afghanistan ? Fussent-ils inquiets de l'acquisition du nucléaire iranien, les alliés arabes des USA sont à la merci de leurs opinions publiques, hostiles à une hégémonie nucléaire
israélienne.
Au deuxième jour de sa
visite au Proche-Orient, le président américain a prôné la souveraineté, sans moyens d'application pour les Palestiniens et la sécurité pour les Israéliens, consolidé par l'appui militaire et
la rhétorique de guerre. Ayant abandonné la condition d'engager des négociations, par l'arrêt de l'occupation, il fait une concession importante à Israël. Diagnostic éloquent d'un observateur:
"Obama accueilli fraîchement à Ramallah et à bras ouverts en Israël" (le Nouvel Observateur, 22 mars 2013). Les appels à des négociations directes, sans pression de la communauté
internationale, ne semblent pas crédibles. Elles encouragent les partisans de la guerre du mouvement Hamas, partenaire alternatif et allié objectif sur la scène arabe.
Le voyage du président américain en Jordanie vendredi 22 mars,
poursuivi le lendemain pour visiter le site historique de Pétra, lui a permis de rencontrer le roi,
Abdullah II, préoccupé par l'afflux des Syriens sur son territoire, outre l'octroi d'une aide financière de 200 millions de dollars, pour assurer la prise en charge des masses de réfugiés qui
arrivent chaque jour. Enjeux plus graves, pour les USA, la Syrie et Israël et l'ensemble de l'aire arabe, l'hégémonie des mouvements radicaux et extrémistes dans la Syrie post-Assad suscitent de
graves inquiétudes. Le roi Abdullah II a évoqué avec le Président Obama, les réformes qu'il comptait conduire et qui rejoignaient le souci américain en
faveur de l'identification des islamistes modérés, selon la mythologie politique qu'ils ont mis en œuvre.
Conclusion : Ni acte historique, ni non-événement, la visite du Président Obama au Moyen-Orient
(20 - 23 mars) et les entretiens qu'il a eu, doivent retrouver leurs justes dimensions. Les projecteurs sont braqués sur les initiatives de
l'hyperpuissance, à l'occasion du second mandat et sur le processus de paix, question centrale au Moyen-Orient. Ce qui explique l'intérêt que portent les acteurs et les analystes au premier
déplacement du Président Obama, dans la région. Conséquence évidente et recherchée par Obama, il a renforcé ses relations avec Israël et souhaité transgresser le désaccord avec le premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou. Faut-il surestimer la détente des relations avec les deux personnages, alors que le traitement des questions
internationales et la construction des réseaux d'alliance, sont déterminés par les rapports de forces, les intérêts bien compris et les facteurs
géopolitiques, qui inscrivent les mouvements d'opinion et le rôle qui peut être significatif des lobbies? Le processus de réconciliation peut, certes, avoir son influence. Mais dans ce cas, la
réconciliation ne peut concerne les protagonistes, en conflit. Le voyage du Président Obama n'a pas eu, comme objectif, la relance du processus de paix. Il s’est contenté d’affirmer que la paix est
possible. Ultime geste de bienveillance, il a chargé le Secrétaire d'Etat John Kerry d'engager des négociations avec les deux partenaires, qui campent surs positions.
Ne perdons pas de vue que le Président Obama se place au centre du jeu,
après une période de repli. Ses concertations avec le gouvernement israélien avaient vraisemblablement comme objectif de coordonner leur politique envers l'Iran et peut être de fixer un calendrier
d'intervention. Les négociations avec Israël devaient, par ailleurs, étudier l'impact du printemps arabe, le changement d'acteurs dans la région, les risques d'établissement d'un pouvoir proche
d'el-Qaïda, en Syrie. La réconciliation avec la Turquie imposés à Nétanyahou s'inscrirait dans la volonté de rapprocher les deux puissances régionales,
en cas de guerre contre l'Iran. Dans cet ordre d'idée, le Président Obama a tenu à ménager la Jordanie. Il décida de lui accorder le soutien
nécessaire, pour faire face à l'afflux des émigrés syriens et de se concerter avec elle, pour assurer le défi de l'ère post-Assad. Le choix des acteurs
privilégiés par la visite : Israël et la Jordanie et la réalisation de la réconciliation turco-israélienne annoncent une révision de la carte
géopolitique, à la veille des bouleversements qui pourraient affecter la région.
chaterkhalifa@topnet.tn
(L'Economiste maghrébin, n° 602,
du 3 au 17 avril
2013, pp.52-54)