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15 septembre 2008 1 15 /09 /septembre /2008 21:17

Dans quelle mesure est-ce que le voyage du Président Nicolas Sarkozy en Syrie (3-4 septembre) constitue un événement historique, susceptible de changer la donne géopolitique au Moyen-Orient ? L’ère post-guerre froide, qui a institué l’ordre monopolaire, a assuré une prédominance américaine dans cette aire et limité la marge de manoeuvre des puissances européennes, sur cette scène. La prise de distance du Président Chirac de la politique engagée par l’Establishment américain, en Irak, a permis à la France d’affirmer son autonomie de décision et de gagner l’opinion publique arabe, traumatisée par l’intervention militaire et la « pacification », qui s’en suivit. Cette politique, qui aurait vraisemblablement, des effets bénéfiques dans le long terme, l’a cependant exclu naturellement, lors des partages des bénéfices de l’opération (pétrole, marchés de reconstruction, alliance avec le nouveau pouvoir de Bagdad). Le rapprochement franco-américain lors du traitement de la question libanaise et la révision de la politique américaine de la France, par le Président Sarkozy, - nous n’irons pas jusqu’à parler de son atlantisme - n’ont pas changé profondément la donne, en dépit d’une coordination évidente de la politique des deux acteurs occidentaux en Afghanistan. Les faits géopolitiques sont têtus. Ils consolident, pour longtemps, les bénéfices du leadership.

Le Président Nicolas utilise les opportunités de la nouvelle conjoncture à savoir l’éclipse électorale américaine, fut-il ponctuelle, l’exercice par la France de la présidence de l’Union Européenne et les velléités de changement de la politique syrienne, qui a révisé sa politique au Liban et engagé des négociations indirectes avec Israël. L’impasse de la question du nucléaire iranien -   puisque l’Europe s’oppose à Téhéran mais ne peut se résoudre à soutenir une riposte militaire américaine ou israélienne contre lui - incite le Président français à solliciter une entremise syrienne, pour inciter l’Iran à répondre avec bienveillance aux propositions européennes. La «normalisation » de ses relations avec la Syrie permettrait à la France d’assurer sa présence sur la diplomatique proche orientale, dominée par les Etats-Unis. D’ailleurs, le président français a affirmé, le 4 septembre, que la Syrie «avait un rôle à jouer» dans la résolution de tous les conflits de la région qui « sont liés ». Et ne perdons pas de vue les objectifs industriels et commerciaux de la politique française.

De ces points de vue, le voyage du Président Sarkozy fut couronné de succès. Il lui a permis d’assurer une plus grande présence française sur les marchés syriens, de confirmer le rapprochement libano-syrien, de tenter une opportunité de dialogue avec Iran et de proposer le parrainage de la France, aux négociations indirectes israélo-syriennes.  Cette percée française sur la scène moyen-orientale doit néanmoins s’accommoder des rapports de forces dans la région et de la nécessaire participation des USA au processus de paix, que le Président syrien, par réalisme politique, rappela publiquement, au cours de la conférence de presse, mercredi. D’autre part, les pourparlers Assad/Sarkozy n’avaient pas l’ambition de décrocher la Syrie de l’axe Téhéran-Damas. Alors que Sarkozy demandait au Président Assad de transmettre son message au pouvoir iranien, Assad lui rappela la politique traditionnelle syrienne, en faveur de la dénucléarisation du Moyen-Orient et défendit l’argumentaire iranien, en faveur de l’utilisation du nucléaire civil, expliquant la crise par un simple manque de confiance entre les acteurs. L’entretien Sarkozy/Assad permit de dissiper les malentendus, de rapprocher les points de vues, par une transgression bien opportune de la politique d’exclusion et de culpabilisation. La France a eu le mérite de considérer l’unique Etat laïc du Moyen-Orient arabe comme un partenaire pour la stabilité de l’aire, à la merci des dérives intégristes.

L’organisation, jeudi 4 septembre, d’un sommet quadripartite -baptisé « Dialogue pour la stabilité » - et  réunissant, outre la France, Présidente de l’Union Européenne, la Syrie, Présidente de ligue des Etats Arabes, le Qatar, Président du Conseil du Golfe et la Turquie, organisatrice des négociations indirectes entre la Syrie et Israël, devait engager des concertations entre ces importants acteurs sur les questions de la stabilité, de la paix et de la sécurité dans l’aire. Pouvait-on évoquer la mise sur pied d’un axe alternatif, susceptible d’assurer une nouvelle direction diplomatique de la scène moyen-orientale ? Sans doute devrait-on prendre la mesure de l’occultation du leadership de l’Egypte et de l’Arabie Séoudite ? Fait évident, ce sommet consacre de nouveaux acteurs, en relation avec les nouvelles priorités (négociations indirectes, question iranienne etc.) et les interventions de nouveaux acteurs et/ou protagonistes sur la scène. Nous avons évoqué le message français à l’Iran, par l’entremise de la Syrie. D’autre part, l’Emir du Qatar a affirmé, lors de ces assises, qu’il «ne faut pas introduire les pays du Golfe dans une guerre contre l’Iran ». De son côté, le Président Bachar al-Assad a affirmé que la situation dans le Caucase, suscite son inquiétude. Il ne veut pas, dit-il, d’une nouvelle guerre froide dont le Proche-Orient ferait les frais, puisqu’il deviendrait son aire de confrontation.

A cet effet, il a affirmé que ce sommet, n’a pas pour objectif de créer de nouvelles zones d’influences, qu’il avait comme ultime objectif de servir la paix et la stabilité et qu’il a évoqué le rôle des USA, après les prochaines élections. Même politique de prudence du Président Sarkozy, qui rappela le rôle de l’Egypte et de l’Arabie, absentes de cette instance. Le Sommet quadripartite privilégia néanmoins de nouveaux acteurs et met à l’ordre du jour de nouvelles approches diplomatiques. Est-ce à dire que nous sommes en présence d’un nouveau tournant au Moyen-Orient ? Disons plutôt que ces entretiens expriment des velléités, traduisent de nouvelles attentes internationales, européennes et arabes. Mais peuvent-ils réellement mettre à l’épreuve les données effectives sur le terrain.

Chasses croisées, des voyages du Président Sarkozy dans le Machrek (l’Orient) et de la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, au Maghreb. Après une visite historique en Libye, vendredi 5 septembre, où elle a rencontré vendredi le leader libyen Mouammar Kadhafi et ouvert un nouveau chapitre entre les deux anciens ennemis, Condoleezza Rice a poursuivi sa mission en Tunisie, Algérie et au Maroc.

Professeur Khalifa Chater

 

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