24 juin 2009
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Consacrant d’habitude leurs journaux d’information à la vie nationale : ses événements politiques, ses faits divers et
ses actualités sportives, les médias européens ont transgressé leurs coutumes et ouvert opportunément leurs horizons, à l’Iran, depuis le scrutin du 12 juin. L’émergence de la contestation populaire iranienne constitue certes, un fait important de l’évolution de
la géopolitique du Moyen-Orient. Mais son traitement européo-centriste fausse la vision et risque d’induire en erreur les analystes généralistes, méconnaissant la réalité complexe du régime, son
discours fondateur, ses postulats, ses références, les mutations spécifiques de son opinion publique, mais aussi ses états d’âme, dans la conjoncture internationale difficile qu’il vit. Dans cet
ordre d’idées, certaines observations permettraient de nuancer les analyses hâtives des médias européens:
1- La dichotomie conservateur/réformateur, présentée comme problématique centrale doit être nuancée. Les deux protagonistes
Hossein Moussavi et Mahmoud Ahmadinejad appartiennent à la même obédience idéologique. Ils
font partie de la classe politique qui a assumé la gestion islamique totalitaire. Hossein Moussavi était un "apparatchik" du régime des mollahs et un vétéran de la révolution islamique. il a dirigé le
quotidien République islamique, l’un des organes de la ligne «dure» au sein du régime. Premier ministre d'Iran de 1981 à 1989, il ne s’est guère illustré par son réformisme.
Elu, dans des conditions normales, il aurait assuré la continuité, tout évitant les excès de langage de son prédécesseur.
2- Le ralliement des réformateurs et des contestataires à sa candidature, l’a érigé
en héraut de toute une jeunesse rêvant de changement. Hossein Moussavi fut porté par une «vague qui vient des profondeurs de la société et prend toute la
société», selon le politologue iranien Ahmad Salamatian. Ses déboires électoraux, la prise de position en faveur de son concurrent, du
guide de la révolution, Ali Khamenei et les manifestations populaires de soutien en sa faveur, lui ont donné une nouvelle
stature. Il osa, même, défier l’Establishment et prendre position contre Khamenei.
3 - En dépit du mouvement populaire d’envergure qui soutient, Hossein Moussavi, Ahmadinejad reste le favori des couches les plus populaires, ceux qu’on appelle
les mostazafin des campagnes et des milices. Ce qui
atteste l’existence d’une démarcation de "classe". L’isolement international de l’Iran, les positions peu diplomatiques et surtout les échecs de la gestion économique et sociale d’Ahmadinejad
expliquent les hésitations et les critiques de certains membres de l’Establishment, tel que Hachémi Rafsandjani, à la tête de la puissante Assemblée des Experts qui peut
désigner et destituer le Guide suprême et d'un conseil chargé d'arbitrer les litiges entre le Parlement et le Conseil des Gardiens de la Révolution.
4 - Le pari de certains Etats européens sur cette contestation intérieure et cette équipe de "réformateurs"
traduit leur mauvaise appréciation de la situation. D’ailleurs, le Président de la République iranienne, quatrième autorité de l’Etat, n’est pas en mesure de réviser la politique internationale
du régime, soutenue par les principales composantes de la société iranienne. En ce qui concerne la politique nucléaire, objet du contentieux, elle fut initiée par le régime du chah et
reprise avec fermeté par ses successeurs. Les Iraniens estiment que la politique nucléaire - fut-elle maladroitement défendue par Ahmadinejad ! - relève des prérogatives des puissances régionales, à l’instar de leur pays. En misant sur l’opposition au régime de Khomeini, Saddam Hussein a
reconstruit le consensus contre lui. Il faut prendre la juste mesure de l’impact du nationalisme iranien et de la civilisation perse.
5 - Dans ce contexte, les sympathies et interventions éventuelles européennes, en faveur du mouvement contestataire, ne peuvent que le
desservir. Hossein Moussavi et ses partisans, fils du régime islamique, ne peuvent, ni ne veulent se démarquer de ses options
nationales. Il en va de leur légitimité. Et d’ailleurs, la communauté internationale ne peut comprendre l’attitude de "deux poids, deux mesures",
en ce qui concerne les nucléaires israéliens et iraniens et les condamnations différentielles de la répression.
6 - Dans l’état actuel des choses, la position de neutralité "wait and see ", prise par les Etats arabes - fussent-ils
en désaccord avec le régime iranien, tels que l’Egypte et le Maroc ! - est bel et bien justifiée. Bon exemple à suivre, la communauté internationale doit rester à l’écoute
des mutations importantes qui semblent s’annoncer et œuvrer pour favoriser un apaisement des relations, susceptible d’assurer l’instauration d’une ère de paix, dans la région.
Pr. Khalifa Chater