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13 mars 2008 4 13 /03 /mars /2008 10:55

 

"Nous voulons faire évoluer le processus de Barcelone" (...) Cela s'appelle Union pour la Méditerranée. Ce sera un projet des 27 membres de l'Union européenne"(Angela Merkel, Hanovre, 3 mars 2008).

 

La déclaration de chancelière allemande à l'issue d'un dîner de travail, avec le président français, à Hanovre, le 3 mars 2008, met fin à l’opposition ferme qu’elle a régulièrement exprimée, à l’Union Méditerranéenne, l’initiative du président français. Lors de sa campagne électorale et lors de son investiture, Nicolas Sarkozy avait évoqué la nécessité de créer cette union, dans le but «de faire de la Méditerranée un espace de coopération et de solidarité[1]». Depuis lors, beaucoup d’eau a coulé, suite aux réserves manifestées par les partenaires européens. Le projet a été  revu à la baisse, favorisant une flexibilité, réduite à des projets ponctuels, dans des structures à géométrie variables. Mais le compromis de Hanovre semble plutôt remettre en cause la réhabilitation de l’axe méditerranéen, en intégrant le projet dans une reformulation des rapports nord-sud, trop longtemps entachés par la vision d’antan de centre et de périphérie.

I - Les mutations de l’Union Méditerranéenne : L’initiative du Président Sarkozy s’inscrivait, dans un retour aux normes de la France, ou plutôt dans une prise en compte des données de la géographie et de l’histoire, sinon une réhabilitation de la politique arabe de la France. Sarkozy présentait son projet comme une volonté de re-équilibrage géopolitique, dicté par la prise en compte du passé commun. «Je me battrai, dit-il, pour l'union de la Méditerranée. En tournant le dos à la Méditerranée, la France a cru tourner le dos à son passé, en fait elle a tourné le dos à son avenir[2]… ». Suite à la réunion de la France, l’Italie et de l’Espagne, le 20 décembre 2007 et de l’appel de Rome qu’ils ont lancé, l’initiative Française est désormais assumée par les trois pays nord-méditerranéens, qui invitent les chefs d'État et de Gouvernement des pays riverains de la Méditerranée à se réunir avec les pays de l'UE le 14 juillet à Paris, pour fonder « l’Union pour la Méditerranée », optant pour cette nouvelle appellation, qui implique une mutation du projet. Exprimant cette nouvelle vision, induite par les tractations qui ont précédé et suivi la réunion de Rome, mais aussi les discussions avec les pays qui ont exprimé leurs réserves ou leur opposition, telle l’Allemagne, des voix autorisées de la Présidence française ou du Quai d’Orsay, ont explicité cette refondation du projet, selon le compromis qui semble adopté, du moins par les trois pays signataires de l’appel de Rome. Le modèle de l’Union Européenne est désormais abandonné, au profit d’une sorte de «G-Med», calqué sur la formule des «G 8», c’est-à-dire sans appareil institutionnel, ni structure permanente. Au mieux, devait-on proposer la création d’un secrétariat léger et d’une présidence tournante. Une unité dont les mécanismes de fonctionnement devait s’accommoder des «relations informelles», désormais privilégiées.

Le compromis de Hanovre ôte au projet sa spécificité méditerranéenne. L’appel sera fait, non plus au nom de la France, auteur du projet, ni du trio méditerranéen de Rome, mais de l’ensemble de l’Union Européenne. L’initiative sera l’objet d’une «une proposition franco-allemande au prochain Conseil européen[3]». Son élargissement annoncé à l’ensemble de l’Union Européenne risque de délayer le projet et de l’inscrire dans les rapports de forces euro-méditerranéens inégalitaires et les mécanismes de décision de l’Union Européenne.

Adaptation au contexte européen, prise en compte de la pesanteur de l’appareil communautaire, difficulté de transgresser le processus de Barcelone et de la politique de «voisinage» qui le relaie et limite son champ d’action, tous ces facteurs se sont conjugués pour imposer la formule d’un compromis, qui bride dans une large mesure, son discours fondateur et ses objectifs génériques. Le projet fut l’objet d’une refondation, qui induit une mutation importante qui le redimensionne, sinon le dénature.

II - La prise en compte des attentes du Sud : Le projet de « l’Union Méditerranéenne » ou « d’Union pour la Méditerranée », selon son appellation nouvelle et sans doute transitoire, est bien considéré, au Maghreb et dans une certaine mesure dans les pays du Sud, dans la mesure où il se propose d’abolir le mur, transféré de Berlin à la Méditerranée, en 1989. Mais les révisions redimensionnant ce projet ambitieux et généreux ne peuvent que susciter les inquiétudes. Or, dans l’état actuel des choses, « l’Union pour la Méditerranée », bridée par les restrictions du compromis de Rome et de Hanovre, ne peut dépasser l’horizon de la coopération renforcée. Au mieux, un dialogue 5+5 élargie. En tant que telle, elle risque de constituer un énième projet, dans le suivi du dialogue euro-arabe et du processus de Barcelone.

 En dépit de ces réserves, le projet de l’Union Méditerranéenne a le mérite de réhabiliter les partenaires sud-méditerranéens et de les considérer comme des acteurs de plein droit, s’il dépasse la formulation de l’association du Sud, en tant que périphérie sinon de zone assistée. Fait d’évidence, pour être crédible, l’Union Méditerranéenne devrait formuler des projets ambitieux. Les populations sud-méditerranéennes souhaitent également que ce partenariat soit global, affectant les diverses facettes de la solidarité, dans le domaine du co-développement, de la libre circulation des personnes,  de l’établissement de la paix, condition Sine Qua None, créant l’environnement adéquat de la bonne entente. La sauvegarde de la paix ne peut être occultée, dans la mesure où elle permet la normalisation des relations, entre les différents partenaires méditerranéens.

Conclusion : Est-ce que la prise en compte des attentes sud-méditerrannéennes pourrait sauver le projet de « l’Union pour La Méditerranée», lui restituer son ambition de construire un avenir commun et un dessein solidaire ? En effet, les populations du Sud attendent une ouverture de l’horizon. Autrement, elles se désintéresseraient du projet.  Peut-on vaincre les désillusions que les redimensions du projet, les restrictions de ses objectifs suscitent ou plutôt prendre en compte, sa construction progressive annoncée, susceptible d’avoir comme finalité une perspective d’intégration à terme. Ne faudrait-il pas plutôt, réhabiliter le processus de Barcelone et lui assurer le développement institutionnel requis ? Or, son objectif générique, à savoir l’intégration de l’aire euro-méditerranéenne, implique d’associer dans sa construction l’ensemble de ses partenaires. Ne faut-il pas plutôt, dépasser l’ère des incantations du discours de Barcelone et les accords techniques de «la politique de voisinage» pour  identifier courageusement une formule d’Union Euro-méditerranéenne. C’est à ce prix, que l’Euro-Méditerranée pourrait devenir une aire de solidarité, de prospérité partagée et de paix. 

Professeur Khalifa Chater

chaterkhalifa@topnet.tn

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[1] - Objectif explicité lors de sa visite en Tunisie, par exemple, La Presse 10 juillet 2007).

[2] - Discours d'investiture de Nicolas Sarkozy, 16 mai 2007.

[3] - Déclaration du chef de l'Etat français lors de la conférence de presse commune, Hanovre, 3 mars 2008.

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13 janvier 2008 7 13 /01 /janvier /2008 18:44

 

Une prise en compte des attentes du Sud !

Professeur Khalifa Chater

 

«Par la position centrale qu'elle occupe en Méditerranée, à la jonction des deux bassins de notre mer commune, mais aussi parce qu'elle s'est toujours impliquée avec beaucoup de dynamisme dans les instances méditerranéennes, la Tunisie a un rôle déterminant à jouer dans la construction de cette Union. Et je ne doute pas qu'elle le fera. L'objectif de cette Union, c'est de faire de la Méditerranée un espace de coopération et de solidarité. La France et la Tunisie partagent cette même ambition, d'une Méditerranée qui unisse au lieu de diviser et qui favorise le partage plutôt que de creuser le fossé entre pauvres et riches» (Interview du Président Sarkozy, à l’occasion de sa viste en Tunisie, La Presse 10 juillet 2007).

L’interview du Président français Nicolas Sarkozy,  à l’occasion de sa viste en Tunisie (10 et 11 juillet 2007) fait valoir «le rôle déterminant que la Tunisie est appelée à jouer dans la construction de l’Union Méditerranéenne». Il met en valeur l’intérêt qu’elle a toujours porté au développement des relations méditerranéennes, confortée par sa «position centrale …, à la jonction des deux bassins de notre mer commune». Fait d’évidence, la Tunisie est concernée par le projet de l’Unité Méditerranéenne. En tant que partenaire du projet de la future union, elle est appelée à le discuter, l’enrichir et le finaliser pour y inclure ses attentes légitimes. Une fois les objectifs communs définis, elle participera à la construction de l’édifice. A ce titre, le projet d’Union Méditerranéenne doit susciter une mûre réflexion et être l’objet d’un large débat[1]. La prise de la décision de sa définition et de sa mise sur pied, par un Sommet des partenaires, vraisemblablement en juillet 2008, inscrit sa dimension multilatérale, comme un postulat appréciable.  En tant que « rêve » communautaire partagé, il doit prendre en compte les attentes de tous les acteurs de l’aire. Autrement, il serait condamné, à l’instar de multiples assises internationales et régionales, à n’être qu’un forum de discussion de vœux pieux.

La Genèse du projet : Lors de son discours d'investiture de Nicolas Sarkozy, 16 mai 2007, a annoncé son engagement de créer une union Méditerrannéenne, confirmant la proposition qu’il a formulée, pendant sa campagne électorale. «Je me battrai, dit-il, pour l'union de la Méditerranée. En tournant le dos à la Méditerranée, la France a cru tourner le dos à son passé, en fait elle a tourné le dos à son avenir[2]… ». Cette initiative  s’inscrit, dans un retour aux normes de la France, ou plutôt dans une prise en compte des données de la géographie et de l’histoire, sinon une réhabilitation de la politique arabe de la Fance. Sarkozy présente son projet comme une volonté de re-équilibrage géopolitique, dicté par la prise en compte du passé commun. Son discours à Toulon, le 7 février 2007, au cours de sa campagne électorale est révélateur :

«Dans Toulon, vieille ville provençale tournée vers la mer, je suis venu dire aux Français que leur avenir se joue ici, en Méditerranée.

Ici où tout a commencé, au bord de cette mer qui ne mène pas à des terres inconnues mais aux rivages familiers vers lesquels depuis des millénaires nous tournons nos regards et nos pensées à chaque fois que nous rêvons d’une certaine idée de l’homme et de la civilisation.

… Quand je pense à la Méditerranée, je pense à l’homme européen qu’elle a fait naître. Je pense à cette part de moi-même, à cette part de chaque Français, de chaque Européen, qui donne le sentiment, face à la Méditerranée, d’un retour à la source, à l’origine de sa propre pensée, de sa propre identité. Je pense aussi à cette part de moi-même qui me fait me sentir chez moi quel que soit le pays, quel que soit le rivage qu’elle baigne.

Nous sommes aussi les enfants de Cordoue et de Grenade, les enfants des savants arabes qui nous ont transmis l’héritage des anciens Grecs et qui l’ont enrichi. Nous tous, Juifs, chrétiens, musulmans, non croyants, nous sommes les héritiers d’un même patrimoine de valeurs spirituelles qui donne à nos dieux et à nos civilisations tant de ressemblances[3]».

 L’élargissement de l’Europe a suscité son recentrage vers l’Est, occultant sa dimension méditerranéenne et redimensionnant le projet communautaire de Barcelone (1995). Et d’ailleurs, «la politique de voisinage», qui a pris, de fait, le relai du partenariat euro-méditerranéen a remis à l’ordre du jour, l’unilatéralisme européen, comme mécanisme de prise de décision, puisque les pays invités du Sud et de l’Est, au processus de voisinage, discutent  à titres individuels. Résultat d’un diagnostic courageux, faisant valoir les déboirs du « pacte » de Barcelone, le projet français tente de corriger le tir, de mettre fin à la dérive favorisée par l’élargissement et les décentrages géographiques vers l’Est et géopolitiques vers l’Atlantisme de l’Union Européenne, qui s’en suivirent. Il propose de redynamiser les ambitions des partenaires d’un espace partagé, fondé sur la solidarité, le co-développement et le dialogue. Comment ne pas saluer une initiative qui met à l’ordre du jour l’écoute des attentes du Sud :

«J'ai toujours pensé qu'il fallait faire de la Méditerranée un espace de coopération. J'ai plusieurs fois eu l'occasion de le dire : en tournant le dos la Méditerranée, l'Europe a cru tourner le dos à son passé ; elle a en fait tourné le dos à son avenir. L'avenir de l'Europe et de la France, j'en suis convaincu, se joue aussi, et peut-être d'abord, en Méditerranée…

… Nous constatons tous que les institutions actuelles n'ont pas été à la hauteur de cette ambition, même si elles ont permis un certain nombre de progrès. Ces progrès doivent être conservés. Mais l'Union Méditerranéenne doit nous permettre d'aller au-delà. Sur la méthode, je suis convaincu que cette Union doit se construire, comme l'Europe en son temps, sur des solidarités concrètes. Nous devons développer des projets concrets dans des domaines où un accord est possible rapidement : le développement durable ou l'intégration énergétique par exemple. Sur ces grands enjeux collectifs, nous pouvons obtenir très vite des progrès visibles [4]».

Ainsi définissait le Président français son approche, lors de ses entretiens de Tunis (10-11 juillet 2007). Ce diagnostic lucide s’inscrit, de fait, dans un souci de redynamiser les relations euro-méditerranéennes, de les inscrire comme priorités. Il prend en compte le fait que «la construction d’une frontière méditerranéenne de l’Europe malmène le tissu extrêmement dense des liens qui unissent entre elles les sociétés du nord et du sud de la Méditerranée occidentale[5]». Peut-on parler d’une « coquille vide[6]». Il  serait plus juste de dire que le projet « Union méditerranéenne » reste ouvert. Ses enjeux collectifs doivent, en effet, être mis au point, lors de la concertation générale des partenaires.

Un accueil mitigé : Ainsi défini, le projet Sarkozy suscitait, par sa volonté d’ouvrir l’horizon   de l’Europe vers le Sud, un intérêt certain  au Maghreb et dans une certaine mesure, dans les pays méditerranéens du Nord. Mais ne risquerait-il pas de provoquer l’opposition des autres pays européens, non impliqués de fait, du fait de la donnée géographique, dans le nouvel édifice. Les pays arabes appelés à rejoindre l’Union Méditerranéenne ne tardèrent pas à manifester leur adhésion au projet. L’approche nouvelle était séduisante. Elle permettrait de réhabiliter leurs demandes, formulées lors de la construction du partenariat euro-méditerranéen (Barcelone 1995) et occultées depuis lors. De fait, l’Union Européenne a fait valoir, dans les instances du partenariat, de la politique de voisinage et des accords d’association, ses intérêts en matière de sécurité et d’émigration et de la surveillance des frontières qu’elle implique. Sa revendication de libre circulation concerne et les produits industriels, les communications mais exclut les hommes et les produits agricoles, objets d’un contingentement restrictif. Outre le mur qu’elle dresse face au sud - un déplacement du mur de Berlin - elle maintient les rapports d’asymétrie et d’hégémonie, mettant aux oubliettes les stratégies solidaires de co-développement et de prospérité partagée. Bien entendu, le projet d’Union Méditerranéenne bénéficie, auprès des pays du Sud et en particulier des Maghrébins et Egyptiens, dans la mesure où il prend en compte leurs attentes.

Les pays nord-méditerrannéens manifestèrent un soutien prudent, sinon diplomatique. Le président du conseil italien Romano Prodi, favorable au projet, proposa d’associer l’Italie à la France, pour proposer une réunion aux sept pays dits "euro-méditerranéens" pour «donner vraiment une signification au niveau opérationnel à la politique de la Méditerranée, qui est prioritaire dans leur action commune [7]». Les sept pays en question sont, outre la France et l'Italie, l'Espagne, la Grèce, Chypre, Malte et le Portugal. « Nous sommes prêts à travailler pour donner une nouvelle impulsion (aux relations entre l'Europe et les pays du sud de la méditerranée), à travers l'initiative de l'Union méditerranéenne du président français » Nicolas Sarkozy, a déclaré le ministre des affaires étrangères espagnol Miguel Moratinos[8]. «Le pourtour méditerranéen doit avoir une priorité dans la stratégie de l'Espagne et de l'Union européenne. Ce qui manque depuis de longues années, c'est un engagement stratégique de l'UE vis-à-vis de sa frontière sud … Il faut un espace régional plus méditerranéen. Nous saluons la proposition française », a poursuivi Miguel Angel Moratinos dans un entretien au Quotidien d'Oran (Algérie). De fait, le soutien des pays nord-méditerranéens relève de l’attente plutôt que dans l’engagement. Peur d’une concurrence dans le domaine agricole, recherche d’une plus grande complémentarité avec l’Europe de l’Est, volonté de sauvegarder la citadelle protectrice, ou tout simplement souci de ménager des secteurs d’une opinion publique mobilisée contre l’aire arabe, comment expliquer ce manque d’enthousiasme. Est-ce que la fidélité à Barcelone, justifierait la réserve de l’Espagne ? Comment expliquer ce non-dit ?

L’opposition des pays non impliqués dans ce partenariat fut plus explicite. Lors de sa rencontre avec le Président français, à Paris, le 6 décembre 2007, la chancelière allemande a annoncé son veto catégorique : « Si à côté de l’Union européenne, les Etats riverains de la Méditerranée devaient constituer une deuxième union totalement différente, j’ai dit que cela risquait de constituer une épreuve difficile pour l’Europe », a déclaré Angela Merkel à l’issue dudit sommet. Plus explicite, son porte-parole affirmait autoritairement :

« Il n’y aura pas une "union de la Méditerranée" comme le proposait le président français mais un développement des consultations entre l’Union européenne et la région… Une union à l’intérieur de l’Union aurait pu avoir un effet explosif incroyable, libérer des différences régionales et entraîner, en réaction, une union de la mer Baltique…  Il n’y aura pas une telle union de la Méditerranée mais, en revanche, le Processus de Barcelone sera amélioré[9]».

Recherche d’un compromis, le Président français affirma, à l’issue de ce 32e sommet informel franco-allemand que la France et l’Allemagne allaient « travailler pour une proposition commune visant à associer tous les Européens qui le voudraient au projet d’union de la Méditerranée ». Est-ce à dire que le veto allemand sonne le glas de l’Union[10] ? Nous ne le pensons pas.

Fait significatif, le projet mis en échec par la chancelière allemande, le 6 décembre 2007, devait être défendue, collégialement par le Président français Nicolas Sarkozy et les chefs de gouvernement italien Romano Prodi et espagnol José Luis Zapatero,  qui ont lancé ensemble, le 20 décembre 2007, un «Appel de Rome pour l'Union de la Méditerranée », qu'ils entendent concrétiser lors d'une conférence à Paris, le 13 juillet prochain[11]. «Convaincus du fait que la Méditerranée, creuset de culture et de civilisation, doit reprendre son rôle de zone de paix, de prospérité, de tolérance », MM. Sarkozy, Prodi et Zapatero indiquent s'être réunis à Rome « pour réfléchir ensemble aux lignes directrices du projet d'Union pour la Méditerranée ». L'union « aura pour vocation de réunir Europe et Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée et d'instituer un partenariat sur un pied d'égalité entre les pays du pourtour méditerranéen ». Elle sera « le coeur et le moteur de la coopération en Méditerranée et pour la Méditerranée » et visera à « rendre plus claires et visibles les actions que les différentes institutions développent en faveur de la Méditerranée », précise l'Appel. Les trois dirigeants indiquent s'être mis d'accord pour « inviter les chefs d'État et de Gouvernement des pays riverains de la Méditerranée à se réunir avec les pays de l'UE le 14 juillet à Paris pour définir leur vision commune » et que « ce sommet sera précédé d'une réunion des pays riverains le 13 juillet ». Des travaux préparatoires seront entamés au cours des prochains mois par la France, l'Espagne et l'Italie, en étroite consultation avec les pays appelés à participer, à l'Union. Cette nouvelle Union n'a pas vocation à se substituer aux procédures de coopération et de dialogue qui existent déjà en Méditerranée, mais « à les compléter, leur donner une impulsion supplémentaire[12]… » Retour du pendule, la réaction de l’Italie et de l’Espagne, grands acteurs de l’Europe méditerranéenne légitime le projet, crée des commissions préparatoires et invite les partenaires à assister aux sommets fondateurs du 13 et 14 juillet.  Ce revirement s’expliquerait, vraisemblablement par l’accord sur un compromis.

L’Union Méditerranéenne à l’épreuve de la pesanteur  du contexte : Pesanteur de l’édifice communautaire, l’Union Méditerranéenne doit impérativement bénéficier d’une situation de compatibilité avec la structure communautaire européenne, qui limite les prérogatives de ses membres. Détenant désormais d’une souveraineté limitée dans de nombreux domaines (relations commerciales, accueil des étrangers, surveillance des frontières etc.), les pays nord-méditerrannéens  peuvent agir dans les marges, engager des relations périphériques, peu susceptibles de satisfaire leurs partenaires du sud, soucieux de réaliser un re-équilibrage des relations asymétriques, induites par l’Union Européenne. Michael Emerson et Nathalie Tocci, chercheurs au Centre for European Policy Studies (CEPS) ont remarqué, à juste titre, que  «les principaux instruments commerciaux, d'aide, de gestion des frontières, d'immigration et visas, de gestion des crises, figurent déjà parmi les compétences de l'UE[13]».  Elle ne pourrait, à moins, d’obtenir un changement des règles de jeux de l’Union Européenne,  n’être qu’une extension du « dialogue 5 + 5 ».

Ce qui explique, dans la formulation des objectifs de départ, une certaine préférence «des projets concrets dans des domaines où un accord est possible rapidement : le développement durable ou l'intégration énergétique par exemple, (l’Union méditerranéenne)  se construisant, comme l'Europe en son temps, sur des solidarités concrètes[14]».  Pour répondre aux grands enjeux collectifs, les acteurs font valoir la méthode progressive. Chargé du projet, l’ambassadeur Alain Leroy proposa, au cours de sa tournée préparatoire auprès des partenaires, en novembre 2007, les projets relatifs à l’environnement, le développement, l’agence méditerranéenne de l’eau, l’interconnexion gazière, l’anfrastructure tels que les chemins de fer  etc[15]. L’accord entre la France, l’Italie et l’Espagne du 20 décembre a vraisemblablement redimensionné le projet de départ, par l’association organique qu’il a envisagé entre les Unions Européenne et Méditerranéenne. Les pays du Sud sont appelés à accepter cette limitation des ambitions du projet, qui risque de conforter le statu quo, en introduisant des interventions mineures.

D’autre part, les nouvelles assises doivent s’accommoder de la volonté européenne d’écarter du champ de concertation, les problèmes essentielles de l’aire, tels les questions de Palestine, d’Irak ou d’Iran. La prospérité partagée, implique nécessairement l’établissement de la paix[16]. Le développement des relations suppose, Sine Qua None,  la réalisation des conditions de normalisation.  Ignorer ces questions importantes, opter pour l’indulgence vis-à-vis de la colonisation, en Palestine ou en Irak, adopter une politique de deux poids, deux mesures, sur le nucléaire au Moyen-Orient, constituent en réalité des choix, des prises de positions, qui ne sont pas de nature à satisfaire les partenaires arabes. Ne perdons pas de vue que «la zone méditerranéenne constitue pour l’Europe un véritable de test de crédibilité pour sa Politique Etrangère[17]», auprès de ses populations et surtout auprès de ses partenaires.

Conclusion : Sans remettre en cause les équilibres fondateurs de l’Union Européenne ou même les effets du processus d’élargissement, le projet de l’Union Méditerranéenne a suscité une re-évaluation de l’édifice communautaire, fondée sur l’état de ses relations avec l’aire méditerranéenne et a mis à l’ordre de jour  un débat salutaire susceptible de renverser les tendances et d’inscrire de nouvelles priorités. De ce point de vue, le projet de l’Union Méditerranéenne a eu le mérite de re-actualiser le discours fondateur du partenariat euro-méditerranéen, d’identifier ses insuffisances et de dénoncer  dérives. La création de l’Union Méditerranéenne s’inscrirait alors comme une conséquence logique de cette évaluation, une re-actualisation dynamisante des relations historiques. Bien entendu, ce nouvel édifice sert les intérêts de ses partenaires européens.  Qu’il nous suffise de rappeler l’analyse de Pierre Beckouche [18]qui montre que « l’intégration régionale Nord-Sud est la condition pour que l’Europe réduise son retard de dynamisme vis -à- vis de l’Amérique du Nord et de l’Asie». L’intégration des pays du Sud, permettrait «la création d’un système productif transméditerranéen[19]». L’approche concernait, certes, l’intégration de l’ensemble des pays de l’Union Européenne à l’aire méditerranéenne. Mais la nouvelle Union se dégagerait de l’option unilatérale et européocentriste, en vigueur dans l’U. E. et mettrait en valeur la nécessité d’une prise en compte de tous les partenaires.

Réhabilitation des partenaires du Sud, écoute de leurs attentes, satisfaction de leurs demandes, dans le cadre du respect d’un idealtype de dialogue, de solidarité, de paix et de prospérité, conjuguant les efforts de tous, c’est à ce prix que l’Union Méditerranéenne acquiert de la crédibilité. Autrement la désillusion nourrirait les ressentiments de ceux qui rêvent d’une destruction prochaine du mur de la Méditerranée.

Khalifa chater

Siteweb : http://chaterkhalifa.info

Couriel : chaterkhalifa@topnet.tn

chaterki@laposte.tn


 

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[1] - De nombreuses études ont tenté d’appréhender le projet. Citons, parmi les références que nous avons pu consulter  :

- Collectif (Jean-François Daguzan, Pierre Beckouche, Grigori Lazarev, Jean-Louis Guigou Juan Prat y Coll, Jean Dufourcq), Géoéconomie, n°42, été 2007, Choiseul, Paris.

- Emmanuel DUPUY, « L’Union de la Méditerranée : union de projets ou projet 
d’Union ? ». Sous presse,
la Revue Politique et parlementaire, premier trimestre 2008.
Etude communiqué par l’auteur
.

- Michael Emerson et Nathalie Tocci, « A little clarification, please, on the Union of the Mediterranean », CEPS, 8 juin 2007.

- Jean-Robert HENRY, « Union méditerranéenne et Union euro-méditerranéenne » in www.fundaciocampalans.com/

[2] - Discours d'investiture de Nicolas Sarkozy, 16 mai 2007.

[3] -  Toulon , 7 février 2007.

[4] - Interview du Président Sarkozy, à l’occasion de sa viste en Tunisie, La Presse 10 juillet 2007.

[5] - Jean-Robert HENRY, « Union méditerranéenne et Union euro-méditerranéenne » in www.fundaciocampalans.com/

[6] - Hichem Yaiche, «Union méditerranéenne, une coquille vide ? », in Le Quotidien d’Oran, 30 août 2007.

[7] - Déclaration du dirigeant italien lors d'une conférence de presse à l'issue d'un entretien avec le chef de l'Etat français. Voir http://www.avmaroc.com/ Dépèche du 28 mai 2007.

[8] - Déclaration du dirigeant espagnol, 4 novembre 2007, entretien au Quotidien d’Oran, paru le 5 novembre 2007.

[9] - Déclaration à l’AFP de Thomas Steg, le porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel.

[10] - Voir el-Watan, 9 décembre 2007.

[11] - Voir le site de l’hebdomadaire l’Express,  http://www.lexpress.fr/

[12] - Appel de Rome, 20 décembre 2007. Ibid.

[13] - Michael Emerson et Nathalie Tocci, « A little clarification, please, on the Union of the Mediterranean », CEPS, 8 juin 2007.

[14] - Interview du Président Sarkozy, à l’occasion de sa viste en Tunisie, La Presse 10 juillet 2007.

[15] - Visites effectuées en novembre 2007. J’évoque ses entretiens, au cours d’une séance de présentation du projet. Tunis 10 novembre 2007.

[16] - Jean-François Daguzan évoque les blocages à surmonter. Voir son étude « vers l’Union Méditerranéenne », in Géoéconomie, n°42, été 2007, Choiseul, Paris.

[17] - Emmanuel DUPUY et Karim SADER : « La Politique Européenne en Méditerranée : « Plus que le libre-échange et moins que l’adhésion - Qu’en est  il aujourd’hui ?, Un rappel des enjeux et des limites de la coopération » in www.iris-france.org/docs

[18] - Pierre Beckouche, «comparer EuroMed aux autres régions Nord-Sud », in Géoéconomie, n°42, été 2007, Choiseul, Paris, pp. 15 – 35.

[19] - Ibid., p. 23.

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22 novembre 2007 4 22 /11 /novembre /2007 16:01

Projet ambitieux, un grand rêve, l’Union méditerranéenne  doit réussir sa mue pré-natale, avant de s’institutionnaliser comme structure effective au service d’une méditerrannée solidaire…. Il serait exagéré certes, de parler d’un accouchement dans la douleur; mais les réticences qu’elle a suscitées au sein de l’Europe non-méditerranéenne - certains parleraient d’un phénomène de rejet - ont incité ses auteurs à réviser leurs copies, pour dissiper les malentendus de certains de leurs partenaires de l’Union Européenne, sinon à revoir leurs ambitions à la baisse, pour tenir compte des pesanteurs du contexte. 

On parle désormais d’une union à géométrie variable, d’une institutionnalisation minimum, d’une  privilégisation de la réalisation de projets. Peu importe ! Ce qui compte, c’est d’abord et avant tout, de s’engager dans la destruction du mur, transféré de Berlin à la Méditerranée, par la magie de l’ère post-guerre froide. Eriger la Méditerrannée en espace partagé de solidarité au service de la prospérité, l’enjeu est de taille puisqu’il engage le méditerranéen à défier l’histoire, alors que les extrémistes des deux bords oeuvrent pour réveiller ses démons et tenter de re-actualiser ses contententieux  ! Serait-il utopique d’espérer pouvoir corriger les relations asymétriques hégémoniques ou du moins assurer les meilleures conditions à l’établissement d’un partenariat égalitaire. Peut-on exclure des négociations les revendications du sud, relatives à la libre circulation des hommes. Pour être crédible, l’Union Méditerranéenne doit impérativement répondre aux attentes de tous les partenaires.   

Le discours fondateur du projet se fonde sur une appréciation lucide des résultats modestes du processus de Barcelone, de l’abandon de son approche multilatérale dans «la politique de voisinage » et de l’occultation des dimensions socio-économiques, géopolitiques et culturelles du partenariat. Ce diagnostique originel, qui réhabilite les partenaires du sud et évoque, en conséquence, une redynamisation des processus de solidarité, a suscité de l’intérêt et de l’entousiasme. La définition collective des enjeux et des objectifs au cours d’un sommet fondateur, - un postulat faisant valoir la multipolarité - prend en compte les exigences citoyennes de tous. Espérons cependant que les concessions de la genèse : recherche coûte que coûte du compromis, élargissement du périmètre, exclusion des questions d’actualité, ne réduisent pas les enjeux et les ambitions de ce projet historique. Sachons garantir cette mue du rêve en réalité, fut-elle l’œuvre d’un processus progressif.

Khalifa Chater

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12 octobre 2007 5 12 /10 /octobre /2007 11:25

Le projet de la création d’une Union Méditerranéenne, formulé par le Président français Sarkozy, lors de la campagne électorale et réaffirmé dans son discours d’investiture nous a paru séduisant. Résultat d’un diagnostic courageux, faisant valoir les déboirs du « pacte » de Barcelone, son remplacement effectif, par la «politique de voisnage», qui remet en question la concertation multilatérale entre partenaires, au profit d’une gestion unilatérale de l’U.E. de ses relations avec ses voisins, il tente de corriger le tir, de mettre fin à la dérive favorisée par l’élargissement et les décentrages géographiques vers l’Est et géopolitiques vers l’Atlantisme de l’Union Européenne, qui s’en suivirent. Il se propose de redynamiser les ambitions des partenaires d’un espace partagé, fondé sur la solidarité, le co-développement et le dialogue. Comment ne pas saluer une initiative qui met à l’ordre du jour l’écoute des attentes du Sud.

Et pourtant, le projet semble être l’objet d’un rejet catégorique de certains pays de l’Union Européenne, hostiles à cette volonté de re-équilibrage en faveur des partenaires méditerranéens. On l’accuse volontiers de susciter une scission au sein de l’Europe, d’enterrer Barcelone, de créer une union sans moyens etc. Peut être lui reproche-t-on aussi, mais dans le cadre d’un non-dit éloquent, de privilégier la construction solidaire à la vision restrictive et partisane de la sécurité, de réhabiliter, dans ses objectifs, ses termes de références et ses mécanismes de gestion, les partenaires sud-méditerranéens, dans le cadre d’une stratégie pluraliste, de cooriger les relations asymétriques, créant naturellement des rapports d’hégémonies non-déclarées ?

Cette construction légitime, puisqu’elle s’enracine dans une histoire partagée et s’inscrit dans un rappel du référentiel et des normes de Barcelone, aura d’autre part l’opportunité de rédynamiser le partenaire euro-méditerranéen, de créer une nouvelle structure de sa promotion, favorisant nécessairement l’élargissement du partenariat aux prolongements de la méditerranéité vers l’Europe et le Moyen-Orient, dans une aire-monde solidaire.

Khalifa Chater

 

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23 mai 2006 2 23 /05 /mai /2006 22:23

La déclaration de Barcelone (27-28 novembre 1995) s’inscrivait dans une ère de détente, après la chute du mur de Berlin et les accords d’Oslo. Transgressant le contentieux colonial, ce contexte favorable qui occultait les divisions, les alliances et les mésententes de la guerre froide, entre les grands acteurs mais aussi entre leurs relais du tiers-monde, faisait valoir, dans l’aire euro-méditerranéenne « une coopération globale et solidaire, qui soit à la hauteur de la nature privilégiée des liens forgés par le voisinage et l’histoire » (préambule de la déclaration de Barcelone). La restructuration de l’Europe permettant l’émergence de l’Union Européenne, comme acteur dominant sur la scène, il était dans la nature des choses, qu’elle se soucie de développer ses relations avec l’aire méditerranéenne, qui constituait sa zone de proximité immédiate et son territoire de manœuvres privilégié, lors de la guerre froide. Sur la rive méridionale de la Méditerranée, la communauté arabe était, sentimentalement unie et politiquement divisée. Fait plus grave, les alignements de la guerre du Golfe ont dessiné de nouvelles lignes de démarcations, des divisions qui prennent du temps pour se colmater. Saluée par tous, l’UMA restait, bel et bien, une entité virtuelle, une volonté de construction unitaire, qui tardait à se matérialiser. Les asymétries de la genèse (rapports de forces politiques et économiques, définitions différentielles des priorités et des attentes, différentes perceptions et/ou approches des questions du Moyen-Orient) pouvaient constituer des sources de malentendus, sinon compromettre l’action communautaire. Comment assurer alors la pérennité d’un compromis conjoncturel ? Des pesanteurs freinent la réalisation du partenariat, dans ses différents volets barceloniens ou de voisinage. Dans quelle mesure est-ce que le nouveau contexte arabe exerce ses effets sur le partenariat ? Le recentrage de l’aire arabe, disons plutôt arabo-musulmane, en relation avec les pôles de tensions, en Palestine, en Irak et en Iran et le recentrage de l’Union Européenne, conséquente à l’élargissement, redimensionne la Méditerranée, « un ventre mou », au mieux, une frontière symbolique, re-actualisant, auprès de certains, les contentieux d’antan. Quel est, dans ce cas, le rôle des représentations, dans l’action politique et dans ce partenariat ambitieux, qui implique une vision globale,  au niveau d’un destin ? Notre analyse devrait aussi distinguer l’impact sur les acteurs et les opinions publiques, dans la mesure où un projet de cette envergure implique nécessairement la conjugaison des actions différents acteurs. Nous n’en sommes pas là, malheureusement.

I- L’Europe et la guerre d’Irak : Il n’est guère nécessaire de rappeler des événements connus. Mais les prises de position qu’ils suscitent, même dans les cas où nous avons affaire à une même lecture, comme la question irakienne, sont différentes et souvent radicalement opposées. L’expédition américaine en Irak et l’occupation qui s’en suivit, ont certes été dénoncées par l’opinion publique européenne. Ce qui a provoqué un rapprochement conjoncturel entre les opinions publiques, de part et d’autres de la Méditerranée. Mais l’alignement de certains pays d’Europe sur les positions américaines et leur participation à l’expédition, traçant une ligne de démarcation, a mis en échec la politique communautaire européenne, au Moyen-Orient. La mobilisation de la France, de l’Allemagne et de la Belgique contre l’engagement de l’ONU dans la guerre, lui ôtant ainsi toute légitimité,  accorda un certain crédit à ces états, comme acteurs indépendants, durant ce contexte de mésentente. L’autonomie de décisions de ces états, rejoints par l’Espagne depuis l’accession au pouvoir de Zapatero, et depuis quelques jours par l’Italie, après le départ de Berlusconi, redessinait les frontières des alliances occidentales, au profit d’une mouvance hors guerre. Mais ce ne fut qu’une démarcation de conjoncture, un rejet diplomatique de la restructuration de la carte des intérêts sur la scène moyen-orientale par « l’hyperpuissance». Tout rentra dans l’ordre, après cette « démonstration des forces » diplomatique. Rappel à l’ordre par le grand frère, mais les tournées de persuasion de Condolessa Rice avaient sans doute négocié aussi des arrangements, érosion de la volonté d’indépendance, après le changement de majorité en Allemagne et les effets de l’élargissement, dans son recentrage de l’U. E. et sa consolidation du clan des alignés, retour à la « conscience communautaire occidentale» et à l’alliance générique qui la fonde, l’Europe rejoint, progressivement, la stratégie américaine au Moyen-Orient, se démarquant ainsi de ses « juniors partners » maghrébins et de leurs opinions publiques (positions affirmées, au Conseil de Sécurité de juin 2004).  Fut-elle considérée comme un état de fait, l’occupation américano-anglaise de l’Irak est désormais légalisée. Occultant l’embrasement de la région, la montée des périls par le développement du terrorisme et l’affirmation des ethnies séparatistes, l’Europe soutient, en l’édulcorant diplomatiquement, le projet du Président Bush, sur le « Grand Moyen-Orient » et son diagnostic réducteur de la crise, (réunion du G 8, juin 2004). Ce qui permet d’occulter les problèmes de l’occupation de l’Irak, du scénario de  son démembrement éventuel et de la maîtrise de la zone, en redessinant la carte du Moyen-Orient, au profit de certains intérêts bien compris.  Ironie du sort, les conseils relatifs à la «bonne gouvernance» occultent désormais, les références à la souveraineté nationale, processus conforté par l’omission effective de la condamnation de l’occupation, en Irak et en Israël. Or, les Maghrébins qui savent ce qu’est une situation coloniale, accordent la priorité à sa disparition. L’occultation de cette donnée par les Establishments européens est une source de malentendus, sinon de discorde.

II - Le discours et sa mise en application : Le blocage du processus de la paix et la consolidation  effective du clan de guerre, en Israël, par « le nouvel ordre », établi par la guerre d’Irak, n’étaient pas propices au traitement de la question palestinienne. On se borna à organiser les réunions rituelles du Quartet, destinées à entretenir l’espoir. Mais le statu quo, se perpétuait, dans l’indifférence quasi générale. De fait, l’Europe semblait s’accommoder de cette situation, s’en remettant au bon vouloir du grand frère. Les élections palestiniennes, dans ce contexte défavorable au clan de la paix, mirent en minorité el-Fatah, au profit du parti islamiste Hamas, qui optait pour la résistance. De ce fait, les ennemis du processus d’Oslo, se retrouvaient aux commandes, en Israël et en Palestine. « Règne de la contradiction », les Etats-Unis et l’Union Européenne, qui recommandaient le processus démocratique au Moyen-Orient coupèrent les vivres aux nouvelles autorités. Cette mise en otage de la population palestinienne, punie par ce qu’elle a mal voté, faisait valoir cette contradiction entre le discours démocratique américain, relayé par l’Europe et son application sur le terrain, concrétisé par ce refus de respecter les résultats des urnes, qui consolidait un acteur dont le désespoir et la désillusion, ont favorisé l’émergence. Quelques voix européennes se sont élevées pour dénoncer « le jeu tragique que joue l’Union Européenne » et demander la prise « d’une grande initiative diplomatique au Proche-Orient, pour que la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens soit la première étape» (Communiqué du Mouvement Républicain et Citoyen, 2 mars 2006). Mais, faute de consensus, l’Union Européenne est, de fait, paralysée, dans ce domaine.  Ce qui d’ailleurs l’empêche de s’affirmer comme acteur crédible, dans l’aire arabe. 

La mise en application des décisions du Conseil de Sécurité, relatif au Liban et l’engagement du processus d’évacuation des troupes syriennes rappelaient, s’il en est encore besoin, que les motions du Conseil de Sécurité relatif à la Palestine, ne suscitèrent guère une similaire volonté d’application. Cette « politique de deux poids, deux mesures » se réalisait dans l’indifférence, sinon la complicité diplomatique.

L’escalade contre l’Iran et la dénonciation de sa « politique nucléaire», considérée comme source de menaces, en dépit  de l’affirmation de ses options civiles, rappellent également cette « politique de deux poids, deux mesures », puisque les Etats-Unis, et les membres européens du Conseil de Sécurité, secondés par l’Allemagne, s’accommodent d’une vision partielle des sources de menaces nucléaires au Moyen-Orient. N’aurait-il pas été plus sage et, en tout cas, plus crédible,  de mettre sur pied, une stratégie de « dénuclérisation » de l’ensemble du Moyen-Orient, dans le cadre de cet ordre qu’on se propose d’établir dans l’aire arabe.

Conclusion : Est-ce  à dire que la re-actualisation, par le nouveau contexte géopolitique arabe et méditerranéen, des  énoncés anciens : Occident/monde musulman, sinon chrétienté/islam, ou jihad/guerre sainte expliquent, du moins au niveau des opinions publiques, cette culpabilisation réciproque des partenaires de la binarité Europe - aire arabe ? La tournure des événements et ses faits marquants : tragédies palestiniennes et irakiennes, obsessions sécuritaires européennes, campagnes contre l’immigration, recherche d’un ennemi de compensation, après la fin de la guerre froide, discours de refoulement de la Turquie de l’Europe ont, certes de part et d’autre de la Méditerranée favorisé les perceptions essentialistes, l’affirmation des espèces génériques, le rappel récurrent des  matrices. Huntington, conforté par les extrémismes et dérives occidentales et orientales, a bel et bien réussi à mettre à l’ordre du jour « le choc des civilisations », la guerre entre les espèces. Mais cette composition de la toile de fonds conflictuelle ne constitue guère, selon nos vues, le facteur déterminant. Tout juste peut-elle contribuer à instaurer un climat de méfiance et  à susciter des inquiétudes. Elle ne concerne pas, d’après nos appréciations, les acteurs du partenariat et les opinions éclairées européennes et arabes. Mais soyons vigilants car elle peut exercer son impact sur les majorités silencieuses. Fait d’évidence, l’Union Européenne, re-intégrant son alliance générique, n’est plus en mesure de s’ériger, en acteur autonome, susceptible de corriger les décisions unilatérales.

La dépréciation du partenariat, ou du moins l’usure qui l’affecte s’expliquerait plutôt par la désillusion des opinions publiques, par la consolidation du « mur méditerranéen », la pesanteur qui ralentit les actions communautaires et l’opposition désormais manifestes entre les priorités identifiées par les différents partenaires. Pour les pays du Sud,  «l’aire de prospérité partagée » de Barcelone a été oubliée, ainsi que l’idealtype de co-développement et la mise en œuvre d’une politique ambitieuse et solidaire de rapprochement des peuples, dans le cadre de la réalisation d’un destin prometteur.

Un analyste européen lucide, proche et solidaire du Sud, tente ainsi d’expliquer caricaturalement la politique de l’Union Européenne vis-à-vis des pays arabes : « Nous n’avons pas de financement à vous accorder, mais nous pouvons vous associer à la protection et à la fermeture de nos frontières. En contre partie, nous pouvons vous donner des conseils, à savoir la bonne gouvernance ».

Autre explication réductrice certes, mais qui permet de présenter une certaine perception populaire du partenariat, par cette dialectique « du pont et des barbelés » :

« D’un côté, il y a la volonté de faire de la Méditerranée un «pont» entre le Sud et le Nord,  et de l’autre, il s’agit de justifier l’existence de barbelés pour empêcher que ce «pont» ne soit pas trop fréquenté par des candidats à l’émigration vers l’Europe. C’est là toute «l’ambiguïté» du partenariat». (site rfi, http://www.rfi.fr/actufr/articles/071/article_40049.asp)

L’analyste avisé doit prendre la juste mesure des actions entreprises, tout en constatant qu’elles sont bien en de ça des attentes et des engagements pris à Barcelone. Mais la sortie de l’impasse implique une meilleure prise en compte des attentes des différents partenaires, pour corriger cette direction asymétrique de l’action de l’Union Européenne, que privilégie désormais la nouvelle politique de voisinage, c’est-à-dire les discussions en ordres dispersés, autre forme de l’unilatéralisme, par rapport aux multilatéralisme qu’incarnait le processus de Barcelone.

 

Professeur Khalifa Chater

 

Vice-Président de l’AEI

 

Séminaire « L’Union Européenne et le Maghreb, entre le partenariat et la politique de voisinage,

 

(AEI, Tunis, 22-23 mai 2006).

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20 novembre 2005 7 20 /11 /novembre /2005 09:54

Le processus de Barcelone (1995) et l'idealtype-postulat qu'il fait valoir, a été mis à l'épreuve des faits, depuis sa naissance.  Il fut, de fait, paralysé par le contexte international tragique, la montée des périls au Moyen-Orient et le blocage par Israël du processus d'Oslo, puis son rejet. Mais nous devons aussi prendre en compte les graves effets de la perte de vue de sa dimension globale, par la privilégisation de l'Union Européenne de sa donne sécuritaire et la limitation de ses enjeux économiques à l'ouverture des marchés sud-méditerranéens. Résultat évident de l'élargissement, le recentrage de l'Europe vers l'Est mettait à l'ordre du jour de nouvelles priorités. Volonté de re-équilibrage du partenariat, «la politique de voisinage», s'adressait simultanément aux régions de proximité de la Russie et de la Méditerranée. Adhésion à la carte, par pays et aux conditions proposées par l'Union Européenne, la nouvelle politique - qui définissait des relations de partenariat spécifiques - pouvait constituer une alternative plutôt qu'une formule relationnelle complémentaire. Certains acteurs n'hésiteraient pas à l'identifier ainsi. Il faudrait donc sauvegarder l'approche de Barcelone et la re-actualiser. Je dirais même la re-fonder.

Revisiter le processus de Barcelone : Peut-on revisiter le processus de Barcelone, re-actualiser son discours fondateur ? Notre approche doit tenir compte du changement de sa donne essentielle :

1) Le compromis - fondateur de Barcelone articule le partenariat autour des trois axes : politique et sécuritaire, économique et financier, culturel, social et humain, faisant valoir une relation organique entre la sécurisation de l'Europe sur son flanc sud et la stabilisation et le développement des pays de la rive sud de la Méditerranée. Or, ces dimensions favorables à la rive sud et surtout la politique de co-développement revendiquée essentiellement par les partenaires maghrébins ont été occultées. La référence à la  communauté euro-méditerranéenne - une entité encore virtuelle car non inscrite dans le vécu - et à l'idéal de coexistence harmonieuse entre les partenaires que le processus de Barcelone se proposait d'établir devenait, de fait, un vœux pieux, sans signification effective. Postulat à rappeler, le partenariat doit ériger la zone en aire de solidarité et de co-développement.

2) Formulée dans une vision globale de paix et de stabilité, la question de la sécurité est désormais mise hors contexte, comme donnée exclusive, comme option majeure, ignorant les éléments fondateurs du postulat de Barcelone. L'occultation des concepts de la paix (qui fait valoir la dimension politique du projet) et de la stabilité (qui évoque les ingrédients du co-développement, de la construction d'un avenir meilleur, l'amélioration des conditions de vie) réduit l'enjeu au traitement de la sécurité. Telle que définie dans ce contexte, c'est-à-dire dans son acception restrictive, la sécurité exprimait une vision européo-centriste. Pis encore, une inhibition culpabilisante et parfois même discriminatoire. 

3) Fondée sur la logique internationale de coopération, le processus de Barcelone, qui fait valoir l'éthique de dialogue, de concertation et d'échanges - c'est-à-dire de co-partenariat équilibré - est dénaturé par les relations asymétriques et la logique effective des rapports de forces qui perturbent son idealtype. La re-actualisation du processus de Barcelone suppose donc, comme préalable, l'assainissement des relations dans l'aire euro-méditerranéenne, par une mise en exécution de son idealtype en matière de coopération, de concertation et de culture de paix et, bien entendu, un engagement solidaire pour abolir le système d'exception en vigueur en Palestine et une remise en question de la logique d'hégémonie et de domination.

4) Fait plus important, revisiter le processus de Barcelone implique une prise en compte prioritaire des attentes des populations de l’aire, ce qui implique une connaissance de l’Etat des opinions sur ce partenariat. Des bureaux d’études et des organisations européennes, ou assimilées, ont essayé de mettre au point des stratégies de re-actualisation du processus de Barcelone. Ce travail d’experts a permis de définir des « ideal-types », appelés hâtivement des utopies, par des hommes du terrain et des politiques avisés. Comment mettre ces analyses théoriques, souvent pertinentes, à l’épreuve de la réalité, au diapason des souhaits des citoyens.

Ne serait-il pas opportun d’organiser une enquête sur le terrain et des sondages d’opinion, dans les différents pays concernés par le processus de Barcelone, pour dégager :

- les aires d’alliances privilégiées,

- les différentes représentations du partenariat  euro-méditerranéen,

- La perception du partenaire

- les attentes de populations.

Il faut engager ce travail préalable, comme priorité stratégique, afin que la célébration du processus de Barcelone ne soit pas un vœu pieux, rappelé rituellement alors que les regards de certains acteurs européens se détournent de plus en plus du Sud.

Conclusion : Est-ce à dire que ces conditions d'actualisation du processus de Barcelone sont difficiles à réaliser ? Nous ne le pensons pas. Fait incontestable, l'U. E. ne peut occulter sa composante géostratégique méditerranéenne. D'autre part, les graves atteintes à l'éthique durant cette difficile conjoncture ont induit des mutations significatives qui ne doivent pas être sous-estimées. Il y a une maturation évidente de l'opinion européenne, qui a pris ses distances par rapport à l'approche conflictuelle du «choc des civilisations». La pause de réflexion conséquente au non français et hollandais, lors du référendum peut inciter les acteurs politiques à effectuer un changement de perspective au profit d'une communauté euro-méditerranéenne citoyenne. Une telle approche permettrait, peut-être, d’identifier des champs de coopération prioritaires, selon les vœux exprimés par les populations de part et d'autre de la Méditerranée.

Khalifa Chater

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28 août 2005 7 28 /08 /août /2005 00:00

La stratégie de Bruxelles à l’épreuve de l’expression référendaire

 Professeur Khalifa Chater

Il faut prendre la juste mesure du rejet du traité constitutionnel européen par la France et les Pays-Bas. Cet « événement politique majeur », pour les deux pays concernés, la communauté européenne et les remises en cause qu’ils induit nécessairement, - ne serait-ce ce rejet salutaire de la pensée politique unique européocentriste  instituée par les gestionnaires de l’Union – concernent évidemment ses différents partenaires géopolitiques méditerranéens, atlantiques et internationaux.

Du point de vue strictement européen, les reproches françaises et dans une certaine mesure hollandaises se réfèrent vraisemblablement à la montée du chômage, à la suite des délocalisations au profit des nouveaux pays de l’Union, à la faveur d’une uniformisation du marché, ne tenant pas compte des différences des salaires et des mesures de protection sociale.  D’autre part, les subventions de mise à niveau ont été largement financées par les pays riches de l’Union. Les «souverainistes» français  font valoir les dépassements sinon les empiètements des prérogatives de l’entité nationale.  Cet aspect ne saurait être occulté par une mise en avant des considérations de politique interne qui jouent évidemment dans toute consultation politique.

Les doléances concernent d’ailleurs la gestion des hauts fonctionnaires de l’Union, dans une ère post-politique qui a redimensionné, pour faire face aux défis de la mondialisation, la prise en compte des attentes des citoyens et ses options –fussent-elles souvent non -exprimées de politique intérieure et extérieure !  Le souci d’un élargissement d’envergure du marché, se légitimant par le mythe d’une Europe unie a induit un processus d’uniformisation, agissant comme un bulldozer, transgressant  les spécificités géopolitiques, les données de l’histoire lointaine et immédiate et les dimensions différentielles des réalités.  Or, l’intégration globale immédiate d’une Europe si différente peut provoquer, comme contrecoup, un rejet d’humeur ou de raison. L’expression  référendaire française et hollandaise relève de ce processus, dont on a surestimé les dimensions conjoncturelles et/ou nostalgiques. Et d’ailleurs, l’exercice politique fait valoir parmi ses exigences la prise en compte de l’opinion publique.

Autre considération essentielle, le projet d’une définition d’une politique étrangère commune, dans le cadre de la mise en œuvre du traité constitutionnel. Or, les citoyens de l’U.E. ont réalisé, durant la gestion de la guerre et de l’après-guerre d’Irak, la démarcation entre les vues d’une Europe dite « vieille », - puisque fidèle à ses principes fondateurs - et d’une Europe atlantiste, soucieuse de s’aligner sur son libérateur de l’emprise soviétique.

Mais cette « pause» qu’induit nécessairement le « non » français, suivi par le «non » hollandais, doit concerner également le partenariat euro-méditerranéen, dans le cadre d’une  re-actualisation du processus de Barcelone, à l’occasion de son dixième anniversaire. Comment ressusciter et accréditer auprès des peuples d’Europe et de la Méditerranée cette vision solidaire de concertation, de coexistence, d’échange et de co-développement. L’élargissement de l’Europe a provoqué un recentrage continental, dont on ne doit pas sous-estimer les effets. Il explique la mise en œuvre de la politique de voisinage qui opte pour des relations bilatérales, aux dépens du partenariat collectif et global. Est-ce à dire que la politique de voisinage sonne le glas de Barcelone, appelé à se limiter à la définition des enjeux et des principes, privilégiant le discours à la praxis ou du moins réservant la mise en œuvre aux accords asymétriques de voisinage.

Khalifa Chater

chaterkhalifa@topnet.tn

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
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30 juin 2005 4 30 /06 /juin /2005 00:00

Conflit de leadership et débats sur la définition !

Professeur KhalifaChater

« Il faut prendre les chose comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bienentendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe !l’Europe ! l’Europe ! mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifierien. » (Le Président Charles de Gaule, entretien télévisé, 14 décembre1965).

Le rejet de la constitution européenne parla France et les Pays-Bas, l’échec du Sommet du Bruxelles (16-17 juin 2005),qui s’en suivit, traduisent une volonté de pause et de réflexion générale, remise à l’ordre de jour par le processus de l’élargissement et le recentragede l’Union et les projets relatifs à sa mutations en entité politique,dépassant ses prérogatives fondatrices de marché. Comment expliquer autrement la double pause du processus de ratification de la Constitution et de la négociationdu budget 2007-2013 de l'Union, décidée lors du sommet de Bruxelles ? Les déboires de l’Union Européenne font valoir, au-delà de l’opposition franco-britannique et du marchandage qui marqua les dernières assises européennes, à propos de la remise en cause française du fameux "chèque britannique" et de la demande anglaise de révision de la PolitiqueAgricole Commune, (PAC), qui profite essentiellement  à  la France, la nécessité d’une reconstruction du consensus hâtif de la vulgate unitaire. Il ne s’agit guère d’une crise conjoncturelle.« L‘agitation de surface » résulte de l’émergence d’une vague de fonds, qui atteste que des« forces de profondeur sont à l’œuvre », selon l’explication braudélienne.La prise en compte de l’importance des enjeux, de la diversité des partenaires,de leurs centres d’intérêts et de leurs cartes d’alliances, permetd’approfondir le diagnostic, de dégager le malentendu générique, enfoui par lediscours dans l’underground. Mais les réalités sont têtues et finissent parappréhender les acteurs de la scène politique. Profonde et inscrite dans ladurée, la crise concerne la définition de l’Union Européenne et la guerre pour le leadership qu’elle met àl’ordre du jour, dans une conjoncture difficile. Mais a-t-on pris conscience, qu’aucun des partenaires, sinon protagonistes, n’est assez fort pour être le maître d’œuvre de l’ordre européen en voie d’édification. L’U.E. à l’épreuve de laguerre d’Irak ? Fut-il grave, l’événement fut le simple révélateur d’unEtat de fait, d’une mésentente profonde, alors que les « protagonistes se heurtent à des difficultés pours’adapter à l’ordre mondial qui s’ébauche<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> ».Leur choix différentiel au cours de la tragédie irakienne permit de dégager les oppositions essentielles, affectant gravement, les opinions publiques, quidécouvrirent brutalement l’absence d’une vision européenne consensuelle.

I – Au-delà des discordes historiques :Des analystes avisés ont cru devoir rappeler la discorde historique, entre la Grande Bretagne et La France. On se rappelle l’intransigeance du Président Charles de Gaulle vis-à-vis de la Grande-Bretagne. La définissant comme un« cheval de Troie américain ». Il refusa longtemps son entrée dans les assises européennes. les Britanniques intégrèrent la communauté européenne,en 1973.  Ne sous-estimons ni nesurestimons les effets de ce contentieux historique. Mais reconnaissons que cette entrée tardive s’explique par des données objectives, que le généralfaisait valoir : la dépendance de la Grande-Bretagne vis-à-vis des États-Unis d’Amérique et le rejet de la conception britannique, exclusivementlibre-échangiste, de l’Europe<!--[if !supportFootnotes]-->[2]<!--[endif]-->. Et,d’ailleurs, la Grande Bretagne exprima son attitude spécifique - une donnée évidente de la géopolitique - en n’adhérant pas à l’espace Schengen et à l’Euro. La construction du partenariat privilégié entre la France etl’Allemagne, binôme moteur de l’Union, montre que les réalités de l’heure comptent plus que les contentieux historiques que les dirigeants des deux pays ont courageusement dépassés. La concordance franco-allemande s’explique par les points de vues similaires sinon  proches des dirigeants et la cohérence desenjeux.

La crise actuelle a permis la résurgencedes effets de l’appréciation différentielle des dirigeants entre les partisans d’une aire de marché et ceux qui optent pour une construction d’une entité politique. Le texte de la Constitution, soumis aux parlementaires et/ou lecteurs exacerbe le conflit en révélant une démarcation fondée sur des itinéraires historiques différents entre construction libérale et une vision sociale. Mais l’élargissement de l’Europe aggravait la situation, en remettant,par l’adhésion des anciens Etats communistes, alignés sur les Etats-Unis, les équilibres fondateurs, mais combien instables, de l’Union Européenne.

II – Conflit de leadership :N’ayant jamais connu de structure politique unifié, les Etats européens peinent à fixer les règles de jeu d’une construction encore fragile et en mutationrapide. Henri Kissinger a remarqué avec pertinence que « même s’ils devaient réussir, ces Etats ne disposeraient pas pour autant d’un principe directeur susceptible de régler le comportement (communautaire<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]-->)».L’Europe est conditionnée par « les concepts d’Etat-nation, souverainetéet équilibre des forces, qu’elle a inventés<!--[if !supportFootnotes]-->[4]<!--[endif]-->». Unconflit de leadership se pose évidemment entre les puissances régionales : Angleterre, France, Allemagne.Marchant sur trois pieds, l’Europe se mutait cahin-caha, condamnée àreconstruire des consensus provisoire. La guerre d’Irak a, d’ailleurs, permis d’identifier par l’un des protagonistesde la scène internationale une vieille Europe et une Europe nouvelle, intégrant dans le giron anglo-américain les pays de l’Est qui viennent de rejoindre l’Union. Ce qui affaiblit, sinon remis en cause le binôme moteur France/Allemagne. Mais le rejet français de la constitution ne pouvait que fragiliser cette entente fondatrice, remise en cause par l’incohérence des attitudes des deux pays vis-à-vis de la Constitution. Du fait de l’évolution de son opinion publique, le gouvernement Schröder était en sursis, condamné à plus ou moins brève échéance, alors que le triomphe du non affaiblissait le Président Chirac. Dans l’état actuel des choses, le leadership franco-allemand était soumis à rude épreuve et, de surcroît, critiqué par la reconfiguration des alliances, à la suite de l’épreuve irakienne et de l’élargissement.

La Grande Bretagne, qui assume depuis le début juillet la Présidence de l’Union, dans le cadre du système de rotation, aspire à assumer désormais le leadership, conforté par la re-dimension de laFrance sur la scène européenne et la crise politique allemande. Elle peut faire valoir, auprès de ses nouveaux alliés, ses positions atlantistes. Mais ses options mitigées et son engagement prudent et calculé dans l’Union Européenne, ne peuvent l’ériger en partenaire de plein droit. Assise entre deux chaises, sinon plus, la Grande Bretagne peut davantage constituer une force de blocage ue d’entraînement, d’autant plus qu’elle ne souhaite pas dépasser la dimensionmarché de l’aire européenne. Une participation dans un séminaire européen,(Lisbonne, 9 juin 2005) m’a permis de prendre acte d’un éventuel leadershipibérique. La démarcation géopolitique des gouvernements espagnol et portugais rend l’entreprise peu crédible. Quel serait alors le statut d’une union européenne, ne bénéficiant pas de l’engagement des puissances régionales ? Pourrait-il affirmer l’indépendance d’une union, lui permettre de se libérer des pesanteurs de l’aire post-communiste et monopolaire.

Conclusion : Une Europe qui nesuscite pas de rêves, qui n’arrive pas à se légitimer par l’adoption d’une ligne politique commune, qui reste ballonnée entre les positions contraires de la géopolitique, mais aussi des options économiques et sociales, comment sortirde l’impasse ? l’Union européenne doit réaliser qu’elle est condamnée à une gestion multilatérale et qu’elle doit s’affirmer, en se repositionnant par rapport aux velléités atlantiques et auxappels des partenaires traditionnels de l’Euro-Méditerrannée. Fait surprenant, mais révélateur, la crise européenne a occulté Barcelone, enterrant de fait ce dossier, dans les assises de prises de décision des Sommets de chefs d’Etats etde gouvernements. Est-ce que la renaissance de l’Union Européenne n’impliquepas aussi une re-orientation des jumelles de Bruxelles, vers les partenaires méditerranéens ?   

KhalifaChater
24juin 2005 

 

 

 

 

 

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<!--[if !supportFootnotes]-->[1]<!--[endif]--> - Henry Kissinger, Diplomatie, traduit del’anglais par Marie-France de Paloméra, Paris, Fayard, 1996, p. 15.

 

[2]<!--[endif]--> - Voir les conférences de presse du général de Gaulle auPalais de l’Élysée les 14 janvier 1963, 16 mai 1967 et 27 novembre 1967. Voirle site : http://gaullisme.free.fr/GEIIBAtlantiqueOural.htm.

<!--[if !supportFootnotes]-->[3]<!--[endif]--> - Henry Kissinger, Diplomatie,op.cit , p. 15.

 

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