Il est opportun, de dissiper les équivoques, de clarifier les références, de rétablir les données de base, à la veille du Sommet
du 13 juillet, qui doit fonder l’Union pour la Méditerranée. L’observateur averti doit corriger les plaidoyers des défenseurs de l’UPM. Prenons nos distances et dépassons les discours
nécessairement réducteurs de ses partisans. Le rêve doit désormais céder la place à la réalité. La célébration d’un culte - fut-il celui de la méditerranéité- doit s’accommoder d’une juste
appréciation des faits, d’une prise en compte des intérêts, d’un dégagement de la pensée politique des scories des mythes. Rappelons, comme postulats, que l’union à travers l’histoire, des
méditerranéens, relève plutôt de la fable. Ne construisons pas le nouvel édifice sur l’erreur. Faisons l’inventaire de ce qui nous rapproche et de ce qui nous sépare. La Méditerranée fut plutôt
une aire de démarcation, une frontière civilisationnelle et politique. Le dépassement des contentieux historiques n’implique guère le gommage des réalités, l’occultation des indicateurs culturels
et politiques différentiels, la sous-estimation des référentiels. Tout accord nécessite une prise en compte de l’identité de l’autre, de ses perceptions et de ses attentes. Autre postulat
nécessaire, les relations politiques se fondent, sur la construction de compromis, prenant en compte les enjeux des différents acteurs. Le discours du consensus n’a pas sa place dans ce domaine.
Et n’oublions pas que tout accord international est un habillage des rapports de forces.
I - Les enjeux de l’UPM : Vérité élémentaire, transgressée lors de la
célébration de son culte fondateur, l’Union pour la Méditerranée, n’a pas comme ambition de re-actualiser une vision du passé. Elle est, bel et bien, un projet d’avenir. C’est en tant que tel,
qu’elle fut appréhendée, par le Président Nicolas Sarkozy, lors de sa campagne électorale, à Toulon en février 2007. « La France, avait-il dit, a cru qu’en tournant le dos à la Méditerranée,
elle tournait le dos à son passé alors qu’en réalité, elle tournait le dos à son avenir». A-t-on pris la juste mesure de cet objectif primordial ?
Autre fait, qui constitue le back ground de l’initiative française, l’enjeu de l’Union Méditerranéenne, re-actualisée par
sa nouvelle version UPM, est la construction d’un partenariat global, comprenant les pays sud-méditerranéens et leur glacis arabe. Dans ce nouveau périmètre, la coopération mise en avant comme
objectif, opèrerait un dépassement des conflits politiques, qui affectent l’aire arabe. La question palestinienne et le différend arabo-israélien seraient, dans le cadre de ce
processus de coopération économique, mis de côté, transgressés, sinon marginalisés et/ou occultés. Est-ce que l’utopie d’une coopération dans cet environnement conflictuel
particulier de « ni guerre ni paix » peut résister aux faits ? On comprend, dans ce contexte, l’enjeu de « normalisation » que craint l’opinion arabe. Ce qui accrédite la
thèse présentant la Méditerranée orientale et non le Maghreb, comme enjeu de l’UPM. Autrement, le partenariat du 5+5, ou du 6+6, appelé à le remplacer, par l’adjonction de l’Egypte et de la
Grèce, aurait suffi. Ce qui aurait d’ailleurs exigé son institution formelle. Nous pensons plutôt que les projets méditerranéens ou euro-méditerranéens, veulent appréhender l’élargissement de
leur aire, par un dépassement du blocage politique du conflit israélo-palestinien, mis entre parenthèse, dans cette nouvelle approche stratégique globale. De ce fait la centralité de la
Méditerranée, mise en avant par l’initiative générique et redimensionnée dans l’UPM est une opération de faire valoir des intérêts des pays nord-méditerranéens et désormais de l’ensemble de
l’Union Européenne. Est-ce à dire qu’elle n’est pas en mesure de servir l’aire arabe ? Tout dépend des perceptions, des attentes, de l’identification des enjeux par leurs acteurs et surtout
par leur mobilisation pour assurer leur re-appropriation du projet.
II- La réaction arabe : Tunis et Rabat accueillirent favorablement l’initiative
du Président Sarkozy, qui rejoignait leur approche méditerranéenne et leur ouverture sur l’Europe. Le Caire, candidat à l’UMA et au 5+5 ne tarda pas à exprimer son adhésion, dans le cadre de son
souci de participer à toutes les constructions régionales et d’assurer sa présence dans toutes les instances internationales. Alger tarda à s’exprimer, offusquée vraisemblablement par son
exclusion dans la répartition des rôles et la distribution des charges. Prenant l’initiative d’un sommet surprise des représentants des pays de la rive sud, à Tripoli, le 10
juin, Mouammar Kadhafi dénonça l’initiative franco-européenne. « Nous ne sommes ni des affamés ni des chiens pour qu’ils nous jettent des
os », dit-il, dénigrant les propositions de coopération en matière de commerce, de sécurité et d’immigration. Les autres chefs d’Etat (Maghreb et Syrie) ne se sont pas
publiquement exprimés, lors de cette instance. Alors qu’Alger devait réserver sa décision de participer ou non au Sommet, confortant la position tripolitaine, les autres pays maghrébins
confirmeront leur présence. Dans le cadre de sa politique d’ouverture, la Syrie annonça, qu’elle serait présente à Paris, le 13 juillet.
Nous remarquons cependant que l’accueil arabe à l’initiative française européanisée reste mitigé. Tout en appréciant son objectif
de dynamiser le partenariat euro-méditerranéen, sa réhabilitation des acteurs du Sud et sa prise en compte de leurs attentes, les analystes sud-méditerranéens estiment que les projets formulés
sont bien en deçà des objectifs de l’initiative du Président Sarkozy. Les plus optimistes d’entre eux espèrent qu’une dynamique progressive pourrait la développer, pour lui permettre de répondre
aux enjeux et aux défis de l’aire par la constitution d’une communauté fondée sur la paix, la solidarité et la prospérité. Autre cause de leurs réserves, plutôt que la peur de la normalisation
avec Israël, exprimée par l’opinion moyen-Orientale, le risque de mettre entre parenthèses le traitement de la question palestinienne, dans ce processus de construction régionale constitue un
véritable consensus arabe, ainsi d’ailleurs que l’occultation de la dimension politique de l’approche. Peut-on admettre, de gaîté de coeur, cette option de désengagement, alors que les graves
problèmes du Moyen-Orient requièrent une entré de l’Union Européenne, sur la scène internationale, pour atténuer les effets du nouvel ordre et mettre à l’ordre du jour une gestion multi-polariste
des affaires internationales.
Conclusion : La réunion du 13 juillet réussira vraisemblablement à fonder l’UPM.
Le nouveau-né ne sera point au niveau des ambitions méditerranéennes et des attentes de leurs populations. Est-ce à dire, qu’il n’a pas les moyens d’assurer sa mue, de réaliser sa refondation, à
l’épreuve des exigences de ses propres acteurs. Ce petit pas pourrait, si on lui accorde le préjugé favorable, constituer un électrochoc, faire échec aux processus de freinage et assurer
l’ouverture des horizons.
Pour réussir, il doit donner « la priorité aux vrais défis, qui concernent directement les peuples méditerranéens, à
savoir l’emploi, la circulation des personnes, la désertification, l’eau et énergie et l’environnement » (Forum de Réalités, Tunis, 11 juin, 2008). Fait important, il ne doit
pas se condamner prématurément en transgressant l’appropriation collective du projet, annoncée par le discours fondateur. Le choix du siège dans un pays du Sud - et pourquoi pas celui annoncé de
Tunis, susceptible de rallier, à plus ou moins brèves échéances, les réserves de Tripoli et d’Alger - et l’adoption de mécanismes d’exécution adéquats pourraient dynamiser son action et
multiplier ses effets d’entraînement. Pour résister à la pesanteur ambiante, Il faut rester à l’écoute de tous et instaurer une politique d’adaptation régulière aux exigences. Il faut convaincre
les plus récalcitrants de part et d’autre de la Méditerranée. Fut-elle une union à géométrie variable, l’UPM doit impliquer nécessairement l’Algérie et la Libye. Elle ne doit pas défier la
solidarité de la communauté maghrébine ou ignorer les attentes de l’aire arabe, alors que la nouvelle configuration ménageait tous les acteurs européens. Autre nécessité, elle
doit « éviter que le Sud méditerranéen ne devienne « le pare choc » de l’Europe face à l’Afrique » (Forum de Réalités, Tunis, 11 juin, 2008).
La crédibilité du projet est à ce prix.
D’autre part, règle d’or de la gestion des affaires internationales, on ne peut occulter la donne politique dans un projet de
cette envergure. Comment créer une communauté de prospérité, de coopération et de solidarité, sans assurer un climat de paix ? Il faudrait peut être inaugurer la mise sur pied de ce
processus par la création, dans le cadre de ce partenariat, d’un comité ad hoc pour faire valoir des solutions aux conflits et différends, traiter les questions graves de l’aire telles
que la question palestinienne. Peut-on négliger cette conditionnalité de la réussite !
Professeur Khalifa Chater,
Vice-Président de l’Association
des Etudes Internationales