“Nous croyons que la Chine peut être un partenaire mais nous envoyons aussi un signal clair : les Etats-Unis sont une puissance du Pacifique ; nous allons être présents dans cette zone” (Obama, 3e débat, 22 octobre 2012).
Tout en confirmant son approche et évoqué une continuité d'évidence, le Président Obama a redéfini ou plutôt réactualisé les nouveaux enjeux politique des USA. Depuis notre départ d'Irak, dit-il, “nous pensons au Pacifique”. Principal théâtre des opérations américaines, le Moyen Orient est désormais relativisé. Le Président Obama a mis à l'ordre du jour, lors de son premier mandat, le dégagement progressif de l'Irak et de l'Afghanistan. Il a dû prendre acte de son incapacité à imposer à l'allié israélien, le processus de la paix. A l'écoute de l'évolution, il a anticipé les effets du printemps arabe, en faveur du nouveau rôle qu'il compte jouer. Mais les observateurs n'avaient ont-ils saisi ces faits d'annonce d'une redéfinition des perspectives prioritaires des Etats-Unis.
Pacifique et mer de Chine, un théâtre d'opérations prioritaire ? Le Pacifique est désormais présenté comme une priorité de la doctrine de défense américaine. Elle ne changera pas avec Barak Obama et ses successeurs. La menace chinoise perçue à travers sa concurrence commerciale a été l'un des thèmes centraux que chaque candidat a développé pour flatter un électorat hanté par le déclin de l'industrie américaine. La Chine, a été, une sorte de "punching-ball" (sac de frappe, pour l'entraînement à la boxe) de la campagne américaine (Cyrille Louis, Le Figaro, 24 octobre 2012). Partageant les vues européennes, les Américains affirment volontiers que la Chine est responsable des délocalisations des entreprises, de la concurrence déloyale et de la crise des industries occidentales. D'autre part, le pouvoir américain constate avec inquiétude que la Chine a élargi ses "intérêts vitaux". Outre son soutien à la Corée du Nord, son souci de récupérer Taïwan, elle veut faire valoir sa domination de la mer de Chine. Ce qui suscite des tensions avec ses voisins et l'hyperpuissance, leur alliée.
Est-ce que "l'épicentre du prochain tremblement de terre est dans le Pacifique ?". Alain Frachon et Daniel Vernet estiment, en conclusion de leur essai, que "la montée des extrêmes n'est pas une fatalité, mais elle ne peut être exclue" (La Chine contre l'Amérique, le duel du siècle, Paris, Grasset, 2012, p. 245). Fait d'évidence, l'analyse des comportements des Etats et la perception de leurs priorités se réfèrent à une grille de valeurs en mutations. Elles remettent en cause les positionnements recommandées par les théoriciens de la dissuasion militaire, sous l'effet de leur "self fulfilling prophecy" (l'auto-perception de leur prévision), en relation avec les fantasmes populaires. Nous devons plutôt réviser les logiques de la guerre froide et les affrontements politiques qu'elles mettent en œuvre. L'interdépendance économique, dans l'Etat-monde post-idéologique, fera valoir de nouvelles logiques de coexistence, de concurrence et de compétitions. Dans l'état actuel de leurs relations, tout affrontement commercial d'envergure entre les USA et la Chine risquerait d'engager "leur destruction économique mutuellement assurée", selon le diagnostic du pire, explicité par Alain Frachon et Daniel Vernet. Ne dramatisons pas les effets conflictuels du "jeu à deux", le face à face sino-américain, que vont se livrer ces alliés objectifs, dans le Pacifique. Pour les USA, la nouvelle donne relativise le marché européen et le théâtre d'opération moyen-oriental.
Des relations de normalisation avec l'aire arabe : L'intérêt des Etats-Unis pour le pétrole du Moyen Orient est évident. Il explique leur jeu de rôle essentiel dans cette aire. «Tempête du désert » (1991) devait libérer le Koweït et rétablir, en conséquence, la sécurité des flux pétroliers vers le marché mondial. «Liberté pour l’Irak » (2003), avait pour objectif la chute d'un chef d'Etat ennemi et déterminant dans un pays grand producteur de pétrole, tout en engageant une transformation politique régionale. Rejetant les nuances de Pierre Noël, nous estimons, qu'il s'agissait, dans les deux cas de "guerres pour le pétrole". Est-ce à dire, que le changement de théâtre d'opérations prioritaires s'explique par une relativisation des enjeux pétroliers ou l'annonce de l'avènement de l'ère de l'après-pétrole ? Nous ne le pensons pas. La réduction de la dépendance américaine par rapport au pétrole du Golfe contribue certes à ce changement d'attitude. Mais les USA restent soucieux de «sanctuariser» militairement le cœur du système pétrolier mondial" (Pierre Noël in http://www.ifri.org).
Ni désengagement, ni désintérêt pour l'enjeu pétrolier, mais simplement une révision de priorités, en relation avec le changement des rapports de forces au Pacifique et au développement économique dans cette aire, confortée par les craintes de l'opinion américaine des effets qu'elle estime désastreux de la concurrence chinoise. D'autre part, la nouvelle conjoncture arabe et la réhabilitation citoyenne ne peuvent s'accommoder du jeu de la diplomatie américaine, en faveur du programme de remodelage du Moyen Orient, engagé par le Président Bush junior et qui ne semble pas abandonné. D'ailleurs, le Président Obama a anticipé ce changement, par l'annonce d'une réconciliation avec le monde musulman (discours du Caire). Les échecs de ses initiatives en faveur des négociations israélo-palestiniennes ont marginalisé ses ambitions d'homme de paix. Quête d'alternative et porte de sortie de la politique d'interventions musclée, le soutien enthousiaste du pouvoir américain pour le printemps arabe et la recherche d'alliances privilégiées avec les nouveaux acteurs devaient ouvrir de nouvelles perspectives. La recherche d'un "nouveau compromis" avec les acteurs de la région est annoncée. Correspond-elle aux initiatives actuelles du Qatar, que le pouvoir américain semble encourager, admettre, ou tolérer : appui ciblé à des courants choisis, en Syrie, nouvelle approche de Hamas et éventuellement recherche d'un accord avec l'Iran, acceptant l'état de fait ? Mais les visions globales spécifiques induites par les discours fondateurs, les repositionnements de la conjoncture et les positions différentielles vis-à-vis du processus de la paix, du nucléaire iranien et autres questions d'actualité, ne peuvent occulter les malentendus, sinon les affrontements idéologiques. De ce point de vue, l'arrivée de nouveaux acteurs dans l'aire arabe ne pouvait changer fondamentalement l'équation stratégique. Les Etats Unis restent bien entendu, à l'écoute des mutations du Moyen-Orient et de l'évolution des prises positions régionales et internationales. Relativisation du Moyen Orient, dans la redéfinition des enjeux certes, mais l'hyperpuissance ne peut occulter cette zone énergétique vitale. Elle restera attentive aux risques d'instabilité et d'insécurité, dans le cadre de sa solidarité avec ses alliés traditionnels de la région et sa crainte des dérives terroristes.
( in l'Economiste magrébin du 14 novembre 2012)
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