“J'avais toujours lié l'Egypte au Conseil de coopération du Golfe (CCG). Si le régime égyptien s'effondre, le GCC le suivra; si le régime en Egypte est fort et consolidé, le GCC restera stable …” (interview au journal égyptien al-Ahram, reproduite in Khaleej Times - 9 April, 2014). Ce diagnostic révélateur du lieutenant- General Dhahi Khalfan Tamim, Deputy Chairman de la police de Dubai, liant le sort des pays du Golfe au nouveau régime égyptien, fait valoir la nouvelle donne des alliances et des zones d'influence, dans l'aire arabe. L'Egypte est désormais une nouvelle carte dans le jeu du Conseil du Golfe.
Une alternative à l'alliance avec les USA ? Dans ce même ordre d'idée, l'analyste libanais Khattar Aboudhiab évoque la formation d'une éventuelle alliance arabe, qui serait formée par l'Arabie Saoudite, Les Emirats, le Koweït, Bahreïn, l'Egypte et la Jordanie. Elle aurait pour objectif de "dresser une barrière, pour assurer la sécurité du Golfe et ce qui en reste de la sécurité arabe" (journal al-Arabe, 5 avril 2004). Conscient de son insécurité, le Conseil du Golfe avait, en 2012, envisagé d'intégrer la Jordanie et le Maroc, tout en occultant la candidature du Yémen, qui reste cependant dans son aire d'influence. Le nouveau pacte éventuel est réactualisé par l'abandon du Maroc, qui a exprimé des réserves, vu son attachement à l'UMA et l'exclusion du Qatar et d'Oman, conséquence de leurs politiques étrangères spécifiques. Est-ce à dire que la nouvelle donne a mis fin à l'approche sécuritaire collective de l'ensemble des pays arabes du Golfe ?
Dans cette éventualité, l'Egypte du futur président Essissi serait "le noyau dur de l'alliance". Autrement, "on rechercherait des alliances avec des pays musulmans, tels la Turquie ou le Pakistan. Sinon on songerait à s'associer avec des puissances européenne ou asiatiques" (Khattar Aboudhiab, ibid.). En tout cas, les pays du Golfe vivent une "conjoncture de défis et de périls" (Mohamed Remihi, titre de l'article, in Charq Awsat, 5 avril 2014). Citons, entre autres, la fin annoncée de l'ère du pétrole, leur source de puissance, les rapports entre les populations indigènes et les immigrés et la dépendance d'un parapluie sécuritaire de l'étranger. La prise de distance des USA de l'Arabie Saoudite et de l'Egypte expliquerait leur rapprochement. D'ailleurs, l'Arabie Saoudite a remplacé les Etats Unis, comme bailleur de fonds de l'armée égyptienne.
Peut-on créditer la thèse, source d'inquiétude de l'Arabie Saoudite, d'un repositionnement des USA, vis-à-vis des pays du Golfe, dans ce nouveau contexte où "l'Iran s'érige en gendarme de la région, d'un associé aux USA ou de son remplaçant, dans l'aire". Les négociations de Genève avec l'Iran ont "choqué l'Arabie saoudite". Elle n'aurait admis que les Etats-Unis, reconnaisse cet ennemi principal des USA et de l'Arabie, dans la région comme "un Etat nucléaire et une puissance régionale" (éditorial d'al-Quds, 28 mars 2014). D'autre part, les Américains n'ont pas pris position, en faveur de l'Arabie, lors de son conflit avec Qatar, qu'ils ménagent par intérêts, vu l'importance des ses achats d'armes. Les USA resteraient cependant l'allié stratégique de l'Arabie, bien que leur intérêt se porte davantage vers le Pacifique. Suite à la crise ukrainienne et à la réactualisation de la guerre froide, leur retour forcé vers l'Europe, impliquerait un changement de priorités.
Un abandon évident d'une alliance des printemps arabes : Des observateurs avaient évoqué une possible alliance des pays du printemps arabe, avec un rapprochement avec Qatar et la Turquie. La destitution du président Morsi, en Egypte a mis fin au rapprochement égypto-qatari et égypto-turc. Pour échapper à l'isolement diplomatique de son pays, l'émir du Qatar a multiplié les visites dans les pays arabes. Les résultats ne semblent pas évidents. L'Algérie et la Tunisie privilégient les relations de coopération, sans allégeance politique. Le Soudan, en très éloigné. La Jordanie entretient des bonnes relations avec les différents pays du Golfe, sans exclusive. Au mieux, peut-elle tenter une médiation, qu'elle aurait déjà programmée (Al-Quds, 30 mars 2014). En ce qui concerne la Tunisie, sa soft révolution et le changement de gouvernement qui s'en suivit, a rétabli les relations équilibrées avec tous les acteurs arabes, privilégiant les relations de voisinages et les alliances de nécessité qu'elles mettent en œuvre. La Libye est en état de choc, alors que la Syrie est l'objet d'une escalade tragique. Dans cette conjoncture d'attente, la tournure des événements ne favorise pas la prise d'initiatives d'alliances, vu les conséquences différentielles des révolutions populaires et la difficile construction de compromis géopolitique.
Vers un maintien des alliances inachevées : Au cours de sa visite à Ryad, le 28 mars 2014, le Président Barak Obama s'est assigné comme objectif de se réconcilier avec l'Arabie saoudite et de relancer son partenariat stratégique avec lui. Sans doute, l'a-t-elle conseillé de suivre la même politique avec Téhéran. Il lui aurait recommandé de négocier avec lui, pour "réduire sa capacité de nuisance" (Georges Malbrunot, Le Monde, 28 mars 2014). Il serait néanmoins difficile à l'Arabie Saoudite d'envisager une réconciliation avec la république islamique, vu l'incompatibilité géopolitique, confortée par l'opposition sunnite/chiite et la démarcation des aires d'influence. Mais la situation réduit la marge de manœuvre de Riyad, vu la nécessité de sauvegarder l'alliance avec les USA.
D'autre part, le conflit entre Riyad et Doha ne peut être que conjoncturel. L'escalade explique les positions de surenchère: L'adjoint du chef de sécurité à Dubaï a demandé l'intégration de Qatar au sein des Emirats. En réponse, un journaliste qatari a demandé de redonner Dubaï à Oman (al-Quds, 31 mars 2014). Autre acte de dissuasion, une délégation khalijienne aurait demandé à la direction saoudienne, d'organiser un renversement à Qatar. Mais elle aurait refusé catégoriquement l'initiative (As-Safir, 4 avril 2014). Qatar et Riyad sont condamnés à se réconcilier. Qatar qui ne peut se permettre un isolement dans son aire, parle même de sa recherche d'un pays d'accueil à Youssef al-Qardaoui, soutien des opposants à Bahreïn et aux Emirats et éventuellement aux dirigeants du mouvement des Frères musulmans, en exil. D'autre part, la donne sécuritaire constitue un facteur fondamental des assises du Conseil du Golfe. La crise actuelle s'inscrirait plutôt dans une volonté de le consolider en imposant un rapprochement des points de vue, sauvegardant le parrainage du Conseil du Golfe par l'Arabie Saoudite.
L'aire arabe reste certes un enjeu stratégique. Mais la donne actuelle semble favoriser la prise d'importance de la dynamique intérieure, aux dépens des velléités d'interventions extérieures que la nouvelle guerre froide ne peut que mettre à l'ordre du jour.
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(L'économiste maghrébin, du 16 au 30 avril 2004).